« Un seul arbitre au monde est incorruptible : celui que vous essayez d’acheter. Et Artémis d’Ortygie. » — Loi de Murphy
Il y aurait six femmes arbitres de catch au monde. Et il n’y en a qu’une seule en Europe. C’est dire notre fierté de l’accueillir sur nos pages. Récit captivant du parcours d’une passionnée dont la garde-robe se conjugue en noir et blanc.
Avant-propos de la rédaction : Artémis d’Ortygie est une jeune arbitre âgée de vingt-trois ans que nous avons l’immense plaisir de recevoir sur notre site. Mieux : cette ravissante bordelaise est à ce jour l’unique femme en Europe à officier en noir et blanc. Ancienne catcheuse reconvertie arbitre à la suite d’une vilaine blessure, elle impose sa loi sur les rings là où le vent la porte, en France (notamment à la ICWA), mais aussi outre-Manche. Passionnante et passionnée, elle n’est guidée que par son amour pour les échanges de gnons entre quatre cordes, ce qui tombe plutôt bien : en France, on ne vit pas de ses cachets. Son rôle sur le ring ? Le même que celui de Charles Robinson ou Brian Hebner, deux de ses modèles : faire appliquer les règles sur le ring avec fermeté, s’assurer que les catcheurs ne sont pas blessés après une grosse prise ou une chute maladroite, garder un œil sur le timekeeper afin de faire le lien entre le staff et les athlètes. Bref, arbitrer un match de catch.
Les Cahiers du Catch ont rarement l’occasion de se plonger dans les arcanes du catch made in France. « Incollables » sur le traitement de l’actualité de la compagnie de Stamford, nous ignorons tout ou presque de ce qui incite un(e) jeune fan, comme vous et nous, à pousser un jour la porte d’une école de catch pour y vivre pleinement sa passion. Alors, quand s’est présentée la chance d’interviewer Artémis, nous n’avons pas hésité une seule seconde. McOcee s’y est collée avec son enthousiasme et sa fougue habituels, mais, de fil en aiguille, les deux jeunes femmes ont changé leur fusil d’épaule. Car celle qui a choisi pour nom de scène celui de la déesse de la chasse* a les idées parfaitement claires et les exprime à merveille. Par conséquent, plutôt que de vous proposer une traditionnelle entrevue « questions / réponses », nous avons préféré donner carte blanche à Artémis pour qu’elle nous raconte son parcours. Et nous avons réduit les consignes à leur plus simple expression.
Le résultat est à la hauteur de ce que nous en attentions et nous sommes certains que vous prendrez autant de plaisir à lire cet article que nous en avons pris à le mettre en forme. Nous vous souhaitons une bonne lecture et espérons que ce témoignage suscitera votre curiosité et de nombreux commentaires. Enfin, nous remercions mille fois Artémis pour sa patience et sa disponibilité. Et nous lui cédons à présent la parole, sous un tonnerre d’applaudissements !
Naissance d’une passion
Je regardais déjà le catch quand j’étais petite, mais de façon plus que sporadique, au point que j’en avais oublié jusqu’à l’existence ; jusqu’au jour où, vers seize, dix-sept ans, je suis retombée dessus sur NT1. Révélation ! Les souvenirs sont remontés à la surface, Hulk Hogan, Ric Flair, tout ça… Je me suis mise à suivre la discipline de manière assidue et je suis devenue totalement fan. Au-delà des Edge, Chris Jericho, Rey Mysterio, Jeff Hardy (oui bon, j’étais ado !), j’étais en complète admiration devant des femmes telles que Lita, Victoria ou Trish Stratus ! Ce sont elles qui m’ont donné envie de catcher.
Au début, j’accompagnais exclusivement la WWE : j’adorais le côté grandiose du spectacle et, je l’avoue, les physiques fort télégéniques des protagonistes ! Ensuite, je me suis mise à la TNA, avec l’âge d’or de la X Division et des Daniels, Samoa Joe, Motorcity Machinegun et AJ Styles, au top de leur forme. Et puis un beau jour, un ami m’a fait découvrir la Chikara… Mon intérêt pour l’Indy a été piqué au vif et tout s’est enchaîné : Shimmer, ROH, Dragon Gate, PWG, etc. Au-delà du comedy wrestling (parfois très décrié par les fans), ces fédérations sont l’occasion de voir des prises inédites, considérées à juste titre comme bien trop risquées pour les promotions majeures. Pour faire simple, l’Indy c’est mon fondant au chocolat du catch, le truc que tu te réserves pour le dessert après avoir regardé un Raw ou un SmackDown.
Et si je devenais catcheuse ?
J’ai toujours été très sportive et j’ai toujours aimé pratiquer les sports que je regardais à la TV. À la fin du lycée, cela devait faire deux ans que je ne faisais plus de sport en club et je m’étais dit que je me lancerais à fond dans une nouvelle activité après le bac. Résultat, je n’ai pas pu attendre et j’ai commencé en terminale ! J’ai d’abord fouillé sur internet, pour voir s’il y avait une école de catch à Bordeaux, et ô surprise, il y en avait une. J’ai donc demandé à faire un cours d’essai et je n’ai plus quitté cette discipline depuis ! À l’époque, j’étais la seule fille, là où je m’entraînais, c’est pour cela que j’ai débuté en tant que manager sur les shows, avant d’avoir des adversaires féminines.
J’ai commencé les entraînements en mai 2008 et j’ai effectué mon premier combat en juin 2009. J’étais déjà intervenue en tant que manager sur des shows, ce qui m’a aidée au niveau des réactions du public. L’acquisition des bases et des chutes a été la plus longue partie de ma formation. Une fois que tu as ça, tout roule. Bien que très sportive, je n’ai jamais eu le côté aérien ou gym qui est très utile pour débuter, donc les chutes qui ressemblaient le plus à celles des arts martiaux ont été rapidement maîtrisées, mais le reste a été plus délicat ! Alors, cent fois sur le métier, j’ai remis mon ouvrage, jusqu’au jour où s’est présentée l’occasion d’enfin disputer un premier match !
Premier match
Tomber contre une adversaire expérimentée, c’est le top pour un premier combat : elle te met en confiance, elle prend les choses en main et tu n’as plus qu’à suivre. Le hic, c’est que c’était également le premier affrontement de ma rivale. Donc aucune ne pouvait rattraper l’autre en cas de pépin. Heureusement, tout s’est très bien passé. Évidemment, le duel était perfectible, j’étais vraiment stressée et je sais que je n’ai pas assez interagi avec le public, mais au niveau technique, le combat était propre !
Cette joute a été le début d’une petite aventure comme catcheuse. Les roadtrips ont été l’occasion de souder des liens très forts avec certaines personnes de ce milieu, et j’ai eu la chance de me retrouver dans les vestiaires avec Britani Knight (NDLR : aujourd’hui plus connue sous le nom de Paige, elle officie désormais à NXT et est présentée à juste titre comme le futur de la division féminine de la WWE), Sylvain Grenier, Thumbtack Jack et bien d’autres encore. Ces moments sont magiques et constituent de superbes souvenirs.
J’ai également eu la chance d’avoir accès aux backstages de la TNA lors de leurs shows de 2010 et 2011, à Paris. C’est là que j’ai rencontré l’une des femmes qui m’a donné envie de faire du catch : Tara.
Que dire d’elle sans passer pour une groupie ? Difficile affaire que voilà… Pour faire simple, elle m’a donné énormément de conseils et a même insisté pour que j’aille parler à Dixie Carter, en ne cessant de répéter « we never know ! ». Bien évidemment, je n’avais pas le niveau requis donc je ne suis pas allée importuner la big boss, mais l’attitude de Tara m’a vraiment fait chaud au cœur ! (L’instant émotion est terminé, promis) Mais une vilaine blessure est venue bouleverser tous mes plans.
Blessure et reconversion en noir et blanc
Devenir arbitre, ce n’est pas une vocation à la base. Je voulais catcher, j’ai accepté de commencer en manageant, mais mon but a toujours été la performance physique, donc l’arbitrage ne m’avait jamais traversé l’esprit jusqu’au jour où l’on m’a proposé un remplacement. L’expérience était bonne à prendre, j’ai apprécié de le faire, mais ça s’arrêtait là. Loin de moi l’idée de m’y consacrer à 100%.
Et puis catastrophe. La blessure. Aux urgences, on me dit que c’est une entorse de l’épaule. Soit, dix jours de repos et ça repart ! Sauf qu’un an et cinq médecins plus tard, l’entorse fait toujours mal… J’ai continué à catcher malgré cette douleur, mais je savais que quelque chose clochait. Et le sixième médecin que j’ai consulté a enfin décelé ce qui n’allait pas : ce n’était pas une entorse, mais une luxation qui avait embarqué un bout d’os au passage (ça n’aurait pas été drôle sinon). Mais passons sur l’extrême incompétence du corps médical, ce n’est pas l’objectif de ces quelques lignes. Soulagée, je me dis qu’une opération et quelques mois de kiné seront suffisants pour me remettre d’aplomb, mais lors de la visite post-op, le chirurgien me fait part de l’état du cartilage, incompatible avec toute pratique sportive. Bon, là, c’est un peu le ciel qui me tombe sur la tête… Hors de question d’arrêter, bien sûr ! Et puis, les nombreux mois de rééducation me font prendre conscience de l’état de l’articulation.
Dilemme : est-ce que je continue, quitte à bousiller mon bras à vingt et un an, ou est-ce que j’accepte d’arrêter ? Je finis par admettre l’ordre des médecins et je me coupe alors de tout rapport au catch. Il était trop douloureux de voir les autres faire ce que j’aimais le plus, et de rester simple spectatrice.
Mais on ne quitte pas le catch si facilement lorsqu’on est passionnée ! Si bien que je décide de retourner vers ce rôle de l’ombre qui m’offre la possibilité de garder une place active dans le ring. Soyons clairs, voir les matches de si près sans toutefois y prendre part en tant que catcheuse a été très dur. Mais ce sentiment s’est atténué avec le temps et l’arbitrage marchant plutôt bien pour moi, j’ai enfin accepté de ne plus combattre et j’incarne mon personnage avec beaucoup de plaisir. Cela me permet de rester sur le ring et de continuer à divertir le public, d’une manière différente, certes, mais l’interaction est toujours là. Et l’arbitrage m’ouvre de nouvelles portes, y compris en dehors de nos frontières.
Expérience outre-Manche
L’été dernier, j’ai eu vent des « British trials » organisés en septembre par l’IPW: UK. Il s’agit d’une sorte d’audition, où les catcheurs font des matches devant les dix plus gros bookers d’Angleterre. Ces essais étaient également ouverts aux arbitres et aux managers et je me suis rendu compte que l’IPW prévoyait le même week-end un séminaire d’arbitrage avec Chris Roberts, qui a officié pour les plus grandes promotions britanniques, dont la Dragon Gate UK, pour ne citer qu’elle. J’ai bien évidemment sauté sur l’occasion.
Le séminaire était l’endroit rêvé pour gagner en expérience et progresser, et les essais étaient la meilleure manière de me faire connaître outre-Manche. Chris nous a donné tout un tas de conseils, a partagé son savoir-faire et nous a exposé des cas pratiques. Ensuite ont eu lieu les essais. Après chaque passage, les promoteurs débriefaient rapidement chaque personne et Chris redonnait des conseils aux arbitres. Il a remarqué que j’avais trop tendance à m’effacer pour mettre en valeur les catcheurs dans le ring. C’est ce qu’il faut, bien sûr, mais il m’a conseillé de donner plus de voix et de vraiment me mettre en avant lors des interventions (décompte de coups illégaux, par exemple), en accentuant ma gestuelle notamment, afin que toute la salle puisse me voir quand c’est nécessaire.
J’ai pu apprendre énormément grâce à cette expérience et avoir une base de travail pour m’améliorer. J’ai également noué des liens de sympathie (l’amitié est un bien grand mot dans ce milieu) avec les gars que j’ai arbitrés.
Le soir, l’IPW: UK organisait un show auquel j’ai assisté et à la fin, le promoteur est venu me voir en me disant qu’il avait également un événement prévu le lendemain, et qu’il aimerait me faire travailler dessus. C’est comme ça que j’ai eu ma première expérience d’arbitrage hors des frontières françaises !
Lors de ce show, j’ai pu arbitrer Sora, un high flyer britannique, contre Paul Ryker, un beau bébé canadien. Il devait me dépasser d’au moins deux ou trois têtes et j’avais vraiment l’air minuscule à côté ! Mais ce match a été l’occasion de mettre en application les conseils de Chris, à savoir donner de la voix pour faire respecter les règles et ne pas s’effacer excessivement devant les catcheurs. Par la suite, j’ai arbitré un Triple Threat et le Royal Rumble (main event) avec Chris. Cela a été une formidable expérience : le booker a été satisfait de mon travail et je compte bien retourner en Angleterre prochainement !
Mon nouveau rôle, ma nouvelle vie
Quand j’ai débuté l’arbitrage, j’étais partie dans l’optique de l’arbitre qu’on ne voit pas. C’est nécessaire pour ne pas gêner les mouvements et actions des catcheurs, mais je ne m’imposais pas assez, lors des décomptes de coups illégaux par exemple. J’ai travaillé là-dessus et j’incarne mieux la figure d’autorité à présent, tout en sachant me rendre invisible quand il le faut pour laisser les catcheurs évoluer et faire le spectacle.
L’arbitrage me permet de bouger un peu partout. Les trajets sont parfois épuisants ; quand tu n’as que le week-end pour te reposer et que tu passes la moitié du temps sur la route, ça peut être lassant. Heureusement, les shows et le public te redonnent tout de suite la pêche et tu sais pourquoi tu fais tout ça lorsque tu montes sur le ring et que l’adrénaline revient.
Pour me faire connaître un peu mieux, j’ai eu l’idée de diffuser une série de vidéos sur Youtube appelées ArteFact. L’idée s’est concrétisée en Angleterre, lorsque je me suis rendue compte que les gars n’arrivaient pas à prononcer mon nom. Ça a été le point de départ de la série ; d’autres sont en préparation, mais je n’ai pas eu le temps de m’occuper du montage, ce qui ne saurait tarder.
https://youtu.be/H3wu-SJU0JI
https://youtu.be/ViHdXV5MLWo
En ce qui concerne ma tenue, on me pose souvent la question de la personnalisation. Certains me disent qu’un arbitre ne doit pas se voir et que par conséquent, je devrais porter un maillot d’homme classique. Le fait est que je ne suis pas un homme, et qu’il n’y a pas d’arbitres femmes à tous les coins de rue. J’ai essayé de faire le compte récemment et je suis arrivée à six… seulement six femmes arbitres de catch dans le monde ! Donc évidemment, une arbitre femme se remarque, on ne peut pas lutter contre ce fait. Après, tout dépend des promoteurs, certains veulent du classique, d’autres au contraire, jouent sur cette différence. C’est pour pouvoir m’adapter aux demandes que j’ai fait personnaliser plusieurs hauts, plus ou moins visibles. Bref, aujourd’hui, je me sens parfaitement accomplie dans ce nouveau rôle que je ne m’attendais pas à incarner un jour. Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes si des guerres d’égos démesurés et certaines structures peu (voire pas du tout) professionnelles ne ternissaient pas l’image du catch français.
Les maux du catch français
Il y a guéguerre et guéguerre. Personnellement, je ne m’implique pas dans les luttes de clans. Je veux juste faire mon travail, arbitrer, et je me contre-fiche de savoir si c’est la guerre froide entre untel et untel. Je ne vis pas au pays de Candy, mais il y a tellement plus grave dans la vie que ces histoires me passent au-dessus de la tête.
La seule chose que je ne supporte pas, ce sont les structures non professionnelles qui s’ouvrent n’importe où, dirigées par des personnes non qualifiées. Les réponses du style « on veut juste se faire plaisir, laissez-nous exercer notre passion tranquilles » sont irrecevables pour deux raisons majeures : d’une, ils mettent en danger les jeunes (ou moins jeunes d’ailleurs) qu’ils « forment » et les blessures sont légion dans ce genre de club. De deux, si ces personnes arrivent (par l’opération du Saint-Esprit ?) à vendre un show, cela a des conséquences sur TOUT le milieu. Le public sera déçu et n’ira plus assister à des spectacles en live. Les communes seront déçues et refuseront les offres ultérieures d’autres structures, aussi professionnelles soient-elles. Donc si tu aimes le catch, si c’est vraiment ta passion, arrête de lui faire du mal…
Évitons toutefois de terminer sur un point négatif ! Il y a des structures très compétentes en France, qu’il faut soutenir. Toi aussi, sois un fan activiste, va voir du bon catch français et contribue à sa survie !
Personnellement, je me vois continuer encore un bon moment dans ce milieu. Je n’ai pas encore atteint mes objectifs, donc il est hors de question d’arrêter avant de m’être donné les moyens d’y parvenir. J’ai, entre autres, l’intention de retourner en Angleterre dans les mois à venir, et l’idée d’arbitrer dans d’autres pays européens me plaît bien. Je vais explorer toutes les options possibles et en attendant vous pourrez me voir un peu partout en France cet été.
Le mot de la fin sera pour remercier McOcee : l’intérêt que tu me portes me fait plaisir, bonne continuation dans l’aventure ! Et message au staff et lecteurs des Cahiers du Catch : vous tenez là une très bonne chroniqueuse, ne la laissez pas filer !
* Selon la mythologie grecque, Artémis, déesse de la chasse, fille de Zeus et sœur jumelle d’Apollon, est née sur l’île d’Ortygie. Mis bout à bout, ça donne Artémis d’Ortygie. C’était la minute culturelle offerte par les Cahiers du Catch.