La politesse vaut mieux que la sincérité, car la politesse fait toujours confiance à l'intelligence d'autrui.
Roland Barthes
Dans la seconde partie de son interview, Booster évoque sans détour l'actualité de la ICWA, les espoirs de la discipline, l'état du catch français et certaines rivalités qui agitent parfois la toile. Avec la simplicité et le franc-parler qui le caractérisent. Merci à lui pour ce passionnant échange qui restera gravé sur les pages de notre site comme sur celles des moteurs de recherche.
You're welcome, CDC Universe !
Interview de Pierre « Booster » Fontaine (2/2)
La politesse vaut mieux que la sincérité, car la politesse fait toujours confiance à l'intelligence d'autrui.
Roland Barthes
Dans la seconde partie de son interview, Booster évoque sans détour l'actualité de la ICWA, les espoirs de la discipline, l'état du catch français et certaines rivalités qui agitent parfois la toile. Avec la simplicité et le franc-parler qui le caractérisent. Merci à lui pour ce passionnant échange qui restera gravé sur les pages de notre site comme sur celles des moteurs de recherche.
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Interview de Pierre « Booster » Fontaine (2/2)
Avant-propos de la rédaction:
Lorsque l’on reçoit quelqu’un sur nos pages, nous avons pour habitude d’écrire que nous en sommes ravis. D’abord parce que c’est vrai à chaque fois et ensuite car c’est une formule de politesse bien pratique pour démarrer un article à peu de frais. Et après avoir trop crié au loup, nous nous trouvons fort dépourvus aujourd’hui, soucieux que nous sommes de ne pas verser dans le superlatif à outrance. Alors, disons les choses simplement : nous sommes très contents de cette interview de Pierre « Booster » Fontaine. Catcheur depuis une bonne paire de décennies, patron de la ICWA, notre invité nous explique avec des mots simples ce qu’est sa philosophie du catch, ce qui constitue le moteur de sa passion, ce qu’il transmet désormais à ses élèves. De son rapport avec Édouard Carpentier, son formateur, à l’apprentissage du catch qu’il exerce selon les préceptes de son mentor en passant par son rapport au milieu en France, Booster se livre avec une belle sincérité, emprunte d’humilité, et vous offre cet échange passionnant et passionné. Merci mille fois à lui, et bien sûr à Kovax, auteur et artificier en chef de cet entretien.
Parlons à présent de l'ICWA. Il y a quelques années, vous avez eu Daniel Bryan, ainsi que d'autres grands noms comme Raven, Colt Cabana ou Joe Legend, qui a même été votre champion officiel pendant un temps. Est-ce que signer des stars de l'indy comme eux est encore possible aujourd'hui, avec la crise qui touche le catch français, ou est-ce plus difficile ?
C'est plus difficile en effet, pour une raison simple, qui n'est pas inhérente au catch en France : c'est juste que les circuits indy sont moins développés, il y a moins de stars qu'avant, tout simplement. De temps en temps, on en parle avec certaines personnes, quand on fait venir Daniel Bryan, Antonio Cesaro, Chris Hero… Il y avait vraiment cinq ou six grandes stars du circuit indy. Mais maintenant, est-ce que tout le monde serait d'accord pour dire la même chose? Pas forcément. Alors oui, c'est plus compliqué en termes de budget de faire venir des stars américaines, des stars de l'indy, mais bien évidemment, on se refuse à créer de « faux » américains juste pour faire augmenter les budgets de nos shows comme le font certains, en prenant des anglais et en les transformant en américains. Est-ce que c'est impossible ? Non, mais c'est plus compliqué. Par le plus grand des hasards, justement, on aura une réponse bientôt, on espère pouvoir faire un show en 2014 avec un grand nom, on verra bien ! (NDLR : Depuis, la réponse est arrivée, et le « grand nom » en question a accepté l'invitation.)
Justement, les shows que vous préparez en ce moment sont-ils produits avec les mêmes moyens qu'en 2008-2009, ou est-ce que la crise vous a obligés à revoir vos ambitions à la baisse ?
Oui, notamment au niveau des imports, on a dû revoir nos moyens à la baisse, parce qu'évidemment la crise nous a touchés, comme tout le monde. Après, il y a encore moyen de faire des shows de qualité, mais c'est plus compliqué, ça demande plus de travail, mais on est là pour ça. C’est là que tu vois la différence entre les pros et les autres. Il y a combien de structures qui sont toujours réellement actives aujourd’hui, dans le catch français ?
Donc, un show de l'ampleur de Revolution 5, ce serait encore possible à faire, plus compliqué mais pas impossible, c'est bien ça ?
Absolument. Après, je ne veux pas tomber dans la basse polémique, mais entre 2008 et 2012, quand la mode a déferlé, on est passé d'un moment où il y avait seulement la Wrestling Stars, l'ICWA et la FFCP, à une période où un tas de shows se sont créés partout. Et ça n'a pas forcément été bénéfique pour le catch en France. Le catch français n'a pas su se servir de cette notoriété parce qu'au moment où toutes les énergies auraient dû se concentrer, il y a eu une sorte de guerre des egos, et c’est parti dans tous les sens. C'est une période qui est derrière nous maintenant, mais c'est dommage, parce que si le catch français n'a pas pu pleinement profiter de la mode de ces dernières années, c'est à 90% de sa faute.
Il a raison, mais je suis dans les 10% qui n'ont rien à voir avec ça.
Pour revenir à la ICWA, combien de shows organisez-vous par an, et quels sont les prochains gros événements que vous pouvez d'ores et déjà nous annoncer ?
Le 30 novembre, on était à Argentre Du Plessis, pour notre plus gros show de l'année. Il y a quelques années, on aurait pu donner le nom de Revolution à ce show, mais on a préféré attendre 2014 pour la prochaine édition. On a toujours eu cette philosophie de progresser marche par marche, de ne pas se précipiter, on veut prendre le temps de construire quelque chose de grand sur la durée. On a aussi eu un show le 7 décembre à Saint Tricat. Après, on reprend les galas à partir de mars et on a prévu un gros show comme il y a quelques années pour le mois de mai 2014. Sur le nombre de shows proprement dit, pour répondre à votre question, c'est très variable : par exemple, de novembre à janvier, on ne travaille presque pas, mais d'autres mois on fait pas mal de shows. Pour vous donner une idée, cette année, entre le 4 et le 7 juillet, on a dû faire quinze shows : trois par jour à Japan Expo et trois dans le sud de la France. Après, on n'est pas la structure qui monte le plus de spectacles parce que quand on a fixé une date pour un événement, on ne peut pas forcément faire d'autres choses à côté.
Et du côté de votre roster, pensez-vous que vous avez actuellement des talents qui seraient capables de faire le grand saut et d'avoir une carrière internationale ?
Oui. Par exemple, je peux citer Tristan Archer qui même s'il n'a pas été formé chez nous peut avoir une grande carrière, je pense que tout le monde le sait. Peter Fischer aussi, je pense ; même si avec son job actuel il est très pris. Après, comme je vous le disais, comme maintenant la porte de la WWE s'est un peu entrouverte, il y a pas mal de catcheurs en France qui peuvent tenter leur chance. Il me vient aussi à l'esprit le nom de Morgane Leigh, qui est très sous-évaluée, je trouve : je pense que si elle avait un peu plus confiance en elle, elle pourrait faire un carton sur les rings européens. Elle a un vrai talent, une énorme conscience professionnelle, une éthique absolument irréprochable… Le seul truc qui lui manque, c'est de la confiance en elle-même. Si elle avait plus confiance en ses capacités, elle pourrait aller très loin.
Et que pensez-vous de Jimmy Gavroche, qui tente justement sa chance dans une école aux États-Unis ?
Je n'ai pas grand-chose à dire sur lui, je ne l'ai jamais rencontré. Dans le catch français, il y a une sorte de guerre des chapelles, donc on n'est pas forcément en contact avec tout le monde, je ne suis même pas sûr de lui avoir déjà parlé. Je crois qu'il est effectivement parti pendant trois mois à Tampa, en Floride, dans l'école des Dudleys ; et après il y a eu pas mal de buzz autour d’une signature à la TNA… Je ne sais pas ce qu'il en est réellement, mais en tout cas je lui souhaite autant de réussite que possible, afin de porter haut l'étendard du catch français.
Profite petit, AJ Styles est sur le départ. Y a un coup à jouer.
Chez les filles, il y a aussi le nom de Shanna qui a pas mal circulé à un moment. Elle a un bon CV, un passé dans l'indy, a été très proche d'intégrer la TNA…
Elle a fait un show chez nous, si je ne me trompe pas, contre Morgane il me semble. Après, oui, elle a participé au Gutcheck, et elle n'a pas gagné. Maintenant, elle vise la WWE… Je lui souhaite d'y arriver, mais honnêtement je ne pense pas qu'elle y parviendra. Parce qu'elle a déjà eu une grosse blessure, qu'elle a trente-deux ou trente-trois ans, ce qui est un peu tard pour la WWE… Après, elle a des appuis, elle sait faire ce qu'il faut pour être au bon endroit au bon moment, elle sait faire parler d'elle pour avoir des soutiens, mais bon… Je vous le répète, je lui souhaite d'y arriver, mais après, de façon pragmatique, je ne pense pas qu'elle dispose des atouts suffisants. Pas en termes de capacités in ring parce que ça, elle les a, mais surtout à cause de sa blessure et de son âge, tout simplement. Parce que bon, le marché portugais, ce n'est pas forcément le truc le plus porteur pour la WWE. Je sais qu'elle est aux États-Unis actuellement et qu'elle travaille beaucoup. Je lui souhaite beaucoup de réussite malgré tout.
Pour terminer avec les catcheuses, lors de la précédente interview que vous avez accordée aux Cahiers du Catch, c'est Kim Kaycee qui était la championne de l'ICWA, titre actuellement détenu par Morgane si je ne me trompe pas. Qu'est devenue Kaycee depuis tout ce temps ?
En fait, elle est arrivée dans le catch au moment de la mode, elle était très fan. Elle a catché chez nous longtemps, et à un moment, je pense qu'elle s'est dit qu'elle avait fait le tour de la question. Elle avait atteint les objectifs qu'elle s'était fixés, et elle ne voyait pas forcément au-delà. Du coup, elle a décidé d'élargir ses horizons, elle a fait de la force athlétique notamment. Et puis, elle a surtout commencé à travailler : elle bosse dans la sécurité, le quotidien a un peu pris le pas sur sa passion et elle a finalement arrêté le catch. Mais au moins, elle a réalisé son rêve et a atteint ses objectifs.
Parlons à présent du catch en France de manière générale. Pensez-vous vraiment que le catch français est en crise en ce moment, ou n'est-ce pas plutôt le niveau de 2008-2009 qui était anormalement haut. Finalement le catch français n’est-il pas tout simplement revenu à sa place aujourd’hui ?
On pourrait dire ça comme ça, en effet. Souvent, on se dit avec Agius qu'on a été le fruit d'une mode nous aussi. Le catch est arrivé sur Canal+ en 1985 et ç’a créé toute une génération de fans. Moi, Agius, des gens comme Jérôme Pourrut de Planète Catch, Célian Varini… Tous ces gens ont connu le catch à cette époque et sont devenus des fans. Même les catcheurs français actuels sont pour beaucoup issus de cette génération qui a connu la WWF sur Canal+. Alors oui, il y a eu cet effet de mode en 2008-2009, et ce qui est bien, c'est que cette mode a créé une nouvelle génération de fans qui dans dix, quinze ou vingt ans seront, je l’espère, à l'origine de nouvelles structures en France pour continuer à faire vivre le catch. Après, il ne faut pas non plus se voiler la face : le catch, ce n'est pas quelque chose qui en dehors de ces périodes de mode bénéficie d'un soutien médiatique énorme et régulier ; donc oui, c'est beaucoup monté ces dernières années avant de se tasser. Mais le bon côté de la chose, c'est que même si l'intérêt pour le catch a diminué par rapport à 2008-2009, il reste plus grand qu’en 2004-2005. On monte très haut, on redescend à pic, mais après on remonte toujours un peu avant de se stabiliser. Et de toute façon, une chose ne disparaîtra pas : la nouvelle génération de fans qui est née grâce à cette mode.
Ce que je préférais quand on se retrouvait entre fans ? Le Ricard !
D'autant que grâce à cet effet de mode, vous avez réussi à avoir quelques occasions de continuer à faire connaître le catch auprès du grand public : je pense notamment à vos collaborations pour la télévision, avec la série Catch-moi si tu peux pour Canal+ ; il y a aussi eu un téléfilm pour France 3, Une nouvelle vie, ainsi que pour le cinéma avec Les reines du ring. Ç’a été une bonne expérience ? Vous pensez que cela a eu un bon impact auprès du grand public, pour faire connaître le catch ?
Il y a deux choses en fait : quand on participe à ces projets, on apporte notre contribution jusqu'à un certain niveau, qui est différent selon le projet en question. Après, le scénario, la réalisation, la communication autour de ces projets, ce n'est pas nous qui nous en chargeons. On essaie juste d'apporter notre pierre à l'édifice. Catch-moi si tu peux par exemple, tout le monde n'a pas forcé aimé ou trouvé ça drôle, mais je pense que ça donnait une belle image du catch français. Pareil pour Une nouvelle vie, même si l'histoire était clairement dirigée dans le but de séduire la ménagère de moins de cinquante ans qui n'est pas forcément notre cible habituelle ; tout ce qui avait rapport directement avec le catch allait dans le bon sens. En ce qui concerne Les reines du ring, j'étais beaucoup moins impliqué que pour les autres projets : on a juste loué nos rings, moi j'étais conseiller sur le tournage, on a apporté notre expertise, mais on a été beaucoup moins impliqués. C'était plutôt le travail de Vince Ventura, un catcheur indy et cascadeur professionnel, un ami d’Alain Figlarz, en fait. Mais oui, en règle générale c'est une bonne chose que des structures de catch françaises montrent à de grosses boîtes de production qu'on peut répondre à leurs attentes en étant professionnels. Et c'est bon pour nous aussi, parce que ça nous permet d'apprendre des choses à leur contact, et même d'essayer de changer chez ces gens-là l'image qu'ils peuvent avoir du catch. Parce que par exemple, les gens de Canal+ et de France Télévision, quand ils ont vu ce qu'était en réalité le catch, ils ont été très surpris. Et c'est là qu'on se dit que c'est dommage que le catch français ne soit pas plus uni, histoire de faire en sorte qu'on puisse montrer cette image positive au plus grand nombre plus souvent. Parce que si le grand public, mais aussi les décideurs voyaient ce qu'est vraiment le catch, ça changerait tout pour nous. C'est pour ça qu'on peut avoir de temps en temps une grande frustration en travaillant dans ce milieu, parce que si on arrivait à mettre toutes nos énergies en commun, le catch en France serait totalement bouleversé. C'est dommage qu'il n'y ait pas plus de gens qui aient cette perception : il y en a quelques uns, mais ils se disent aussi que si les gens connaissaient mieux ce qu'est le catch, ça casserait aussi la façon dont certaines choses fonctionnent ; et qu’il est donc préférable de rester méconnus. C'est encore pire que le reste, parce que c'est contre-productif, mais bon… Pour en revenir au sujet, c'est effectivement très enthousiasmant de travailler sur ces projets, mais on aimerait parvenir à faire connaître notre passion encore plus.
La ménagère de moins de 50 ans confirme : le catch, elle n'en a rien à cirer.
Dans un de nos derniers articles, nos rédacteurs disaient qu'il leur semblait impossible de voir un jour débarquer à la télévision française une émission de catch français régulière. Êtes-vous du même avis ? Ne peut-on vraiment pas espérer voir un jour en France un show de catch français un peu à la manière de Raw ou de SmackDown, toutes proportions gardées bien sûr ?
Pour arriver à ça, comme je le disais tout à l'heure, toutes les énergies du catch français ont besoin de s'unir et non pas de se disperser. Il y a des gens de bonne volonté, mais sans vouloir faire de polémique, il y en a aussi qui sont irrécupérables. Si certaines personnes consentaient à véritablement faire partie de l'équation commune, ce serait quelque chose de possible. Nous, on y est passé tout près, on a eu la chance de faire vivre un très beau projet qui s'appelait Adrénaline : l'idée était de créer une vingtaine de personnages, et grâce aux gens d'Ankama qui nous ont donné des moyens, on a fait ce projet pour le montrer aux chaînes de télé, en leur proposant d'avoir un show de catch toutes les semaines de l'année, dans un format de cinquante-deux minutes. On a tourné les deux premiers épisodes en guise de pilote et on l'a proposé. La quasi-totalité des gens de la programmation des chaînes chez qui nous sommes allés ont été bluffés par la qualité du produit, certains disant même que c'était tellement bien que ça ne ressemblait pas à du catch français, justement ! Ça peut sembler présomptueux, mais c'est ce qu'ils ont dit. Il faut dire que grâce à Ankama, on a disposé de moyens techniques formidables, en terme de captation notamment, que même la WWE et la TNA n'ont pas : on avait une caméra capable de faire des super-ralentis à l'épaule, qu'on a été les premiers à utiliser dans ce cadre. On avait vraiment de très bons moyens. Ces deux épisodes-tests ont convaincu les gens à qui nous les avons présentés, mais le problème c'est que tous ces moyens techniques formidables coûtent extrêmement cher, du coup ça n'a pas pu se faire à cause de ça. Mais ça montre que l'idée et l'envie de passer du catch français à la télé sont là. Est-ce que ça va être possible tout de suite ? Non, il va falloir attendre que ça retombe un petit peu, même peut-être dans trois, quatre ou cinq ans, parce qu'il y a beaucoup de chaînes, il y a la multiplication des offres, la TNT, la télévision sur Internet… Ce n'est pas impossible. Il faudrait que beaucoup de choses se transforment pour que ça devienne jouable, mais en tout cas, le potentiel est là. On a les catcheurs, les catcheuses, les créatifs… Ce qui manque, c'est deux ou trois businessmen et la volonté de certains décideurs du catch en France, de certains grands noms de se dire qu'il est temps d'agrandir le gâteau pour qu'on puisse tous en profiter plutôt que de se partager les miettes en se mettant allègrement des bâtons dans les roues.
Pas de ma faute si Laroche-Joubert veut pas raquer les 40 patates !
L'une des solutions pour mettre fin à ces querelles intestines au sein du catch français, booster le catch en France et mener à bien ce genre de projet ne serait-il pas justement, comme vous le dites, que toutes les grandes forces du catch en France, que ce soit l'ICWA, la WS, la FFCP… s'unissent dans une grande fédération commune, un peu à l'image de ce qui s'est passé avec la NWA à l'époque des territoires ? Chacun conserverait sa spécificité, mais il y aurait des ceintures de champions mutualisées en quelque sorte, ce qui permettrait de nombreux échanges entre les différentes organisations de catch françaises ?
En théorie, oui, c'est ce qu'il faudrait faire. Mais en pratique… Je n'ai vraiment pas envie de polémiquer, parce que souvent (histoire de crever un peu l'abcès quand même) dans le catch français, quand il y a ce genre de polémique, ça ressemble à deux gars qui joueraient au tennis avec une balle qui ne rebondit pas : ça ne sert à rien, tous ceux qui regardent les types jouer trouvent ça ridicule, et personne n'en sort grandi. Mais le problème, c'est qu'entre les grands dirigeants du catch français, c'est un peu ça finalement. On se croirait à la maternelle parfois. Je pense que c'est aussi une question de générations, de parvenir à différencier ce qui est réel et ce qui ne l'est pas, ce qui est ou pas de l'ordre de la gimmick. Pour revenir à votre question, on peut parler de Flesh par exemple : quel intérêt aurait-il à ce que le catch change ? Il est au sommet, il fait ses shows, ça tourne bien… Pourquoi partagerait-il ? Bien sûr que ce serait bien pour le catch français, mais est-ce que ce serait bien pour lui? Pas forcément. Ce qu'il voulait avoir, il l'a déjà. Après, pour parler de la FFCP, si je dois en dire un mot sans être trop polémique, ce serait « ingérable ».
Oui, je sais que vous ne voulez pas trop en parler, mais comme vous le savez, nous avons publié il y a quelques temps une interview de Marc Mercier, le patron de la FFCP, qui a eu des propos extrêmement durs envers vous. Avez-vous quelque chose à répondre à ses propos ou préférez-vous ne pas relever ces attaques ?
Cette histoire, c'est… Comment dire ? Vous voyez, on parlait de Flesh tout à l'heure. Lui, je l'ai connu dans la vie privée, et il y a l'image que les gens ont de lui ; ce sont deux choses très différentes. Pour moi, Marc, c'est pareil. Marc, dans toutes ses interviews, c'est un personnage qu'il joue.
Depuis son interprétation d'Obelix sur fond vert, Marc n'est plus tout à fait le même.
Oui, ça, on a pu s'en apercevoir ! [rires]
Voilà. Marc, c'est un personnage, parce que pour lui, le catch, c'est avant tout ça : des personnages. Mais le problème, c'est que du coup, avoir une discussion posée avec lui, c'est quasi-impossible, et c'est pour ça que je pense que rien ne naîtra de la FFCP. Si demain j'ai tort, je serai le premier à le reconnaître, mais je pense qu'il y a quelque chose de vicié dans le truc, à toujours vouloir être un personnage, à toujours être en représentation… Flesh, c'est autre chose, lui c'est le patron. Après, c'est sûr qu'on a tous nos personnalités, mais c'est aussi une question de génération : moi je sais qu'on me voit comme le petit con qui vient faire chier son monde. Mon père était prof d'histoire-géographie, ma mère était prof de lettres classiques, du coup je suis souvent vu comme un intrus dans le monde du catch. Ça fait dix-huit ans que je me bats pour avoir ma place, malgré ça, il y a plein de gens qui trouvent que je ne suis pas légitime. Eh bien tant pis. J'essaye juste d'avancer. Je regrette que ça se passe comme ça, mais au bout d'un moment, qu'est-ce qu'on peut y faire ?
Mais quelles sont les raisons de cette animosité qu'éprouve Mercier à votre égard, notamment dans son interview pour les Cahiers du Catch ?
Pour être très franc, je ne sais pas. D'ailleurs, je n'ai même pas lu cette interview. On m'a envoyé quelques extraits, copiés/collés sur Internet, votre site m'a contacté pour savoir si je voulais faire valoir un droit de réponse, mais c'est tout. Mais le fait que ça en arrive à ce niveau-là, avec des attaques personnelles, sur moi, sur ma femme… Je n'arrive pas à me l'expliquer. Très franchement, ça ne m'empêche pas de dormir non plus, mais parfois j'ai l'impression que rien qu'en respirant, j’exaspère certains. C'est tellement 100% con que je préfère m'en amuser. L'autre jour, par exemple, j'étais avec un de mes amis et il me sort en déconnant « toi, de toute façon, tu as tué le catch en France ! » et ça nous a fait rire. Parce que bon, comment peut-on dire sérieusement une chose pareille ? Bien sûr, comme tout le monde, il m'est arrivé de ne pas toujours prendre les bonnes décisions, mais quand même… Mais bon, quelque part, ça me fait exister aux yeux de certaines personnes. Je trouve ça bizarre parce que je ne pense pas être aussi nocif que ça pour le catch en France, pas au point de s'acharner sur moi ou sur mes proches qui n’ont rien demandé dès que l'occasion se présente. J’ai deux enfants de neuf ans et sept ans : à quoi bon les bâcher juste parce qu’ils sont mes enfants ? C’est ça être un « grand patron » du catch ?
Oui, enfin, vous n'êtes pas non le dernier non plus quand il s'agit d'avoir des propos acerbes, parce que on ne peut pas dire que vous vous êtes laissé faire par Mercier non plus…
Oui, mais j'ai arrêté tout ça. C'est vrai que pendant longtemps, j'ai eu ce côté un peu taquin « tu m'attaques, je t'attaque » et ainsi de suite. Mais il y a quelques mois, en y réfléchissant bien, et en pensant au catch français dans sa globalité, j'ai réalisé que ça ne servait à rien, et j'ai pensé à cette métaphore dont je vous ai parlée tout à l'heure, ces deux types qui jouent au tennis avec une balle qui ne rebondit pas. Je ne veux plus passer ma vie à taper dans une balle qui ne rebondit pas. Ce n'est pas bon pour le catch, et je pense qu'on est tous ridicules dans l'histoire. Alors oui, j'ai eu des mots que je n'aurais pas dû avoir, et j'ai aussi fait des attaques personnelles que je n'aurais pas dû faire. Je n'en suis pas ressorti grandi. J'ai été assez bête de faire ça. Je ne peux pas changer ce que j'ai fait, mais je peux changer ce que je vais faire. Je veux arrêter tout ça et commencer à donner l'image d'un homme responsable, parce que j'ai un peu attisé le feu et je n'aurais pas dû le faire.
Depuis, Booster a changé de livre de chevet.
C'est rien de le dire, parce que Mercier parle par exemple de tweets que vous auriez postés avant de les effacer rapidement qui auraient été très limites. Qu'avez-vous à dire sur ce sujet ?
Limites envers qui ? Envers lui ?
Non, Mercier parle de tweets antisémites, pour être clair.
Alors, je ne suis pas antisémite. Après, j'ai un tort. Je vais être très franc avec vous : je suis fan de Dieudonné, je reprends des mots de Dieudonné, et j'ai aussi le tort de trouver qu'Alain Soral ne dit pas que des bêtises. C'est vrai que j'ai posté des choses, et après je me suis dit que pour les gens qui ne sont pas dans cet état d'esprit, dans cet humour, ça aurait pu choquer. Après, je pense que ceux qui me connaissent pourront confirmer que non, je ne suis pas antisémite, ni raciste, ni néo-nazi. Que j'ai un humour un peu borderline, mais je pense ne pas être le seul dans ce cas. Après, il paraît que Mercier a dit que j'étais un néo-nazi… Alors certes, j'ai eu le crâne rasé très longtemps, j'ai des tatouages, mais bon, voilà quoi, ça ne fait pas de moi un néo-nazi pour autant. C'est un peu hors-sujet, mais pour vous donner un exemple, j'ai un fils dont le meilleur ami à son école est un gamin, Éliott, qui a été adopté et qui est né en Éthiopie. Et un jour, mon fils arrive de l'école et m'explique que leur nouveau jeu à tous les deux c'est qu'Éliott porte son cartable. Je lui demande alors « il porte ton cartable et toi le sien, c'est ça le jeu ? » Et là il me dit que non, c'est juste Éliott qui prend son cartable en fait. Je me suis imaginé ce qui pouvait se passer dans la tête des parents d'élèves, surtout que bon, avec mon crâne rasé et mes tatouages, j'avais peur de ce qu'ils pouvaient s'imaginer sur ma façon d'éduquer mon fils. Et je me suis dit que c'était fou d'en arriver à penser ça, alors que les gamins eux ne voyaient pas du tout le mal. Bref, je n'ai pas envie de me défendre sur ça. Certes, je suis fan de Dieudonné, mais ça ne fait pas de moi un néo-nazi. Après, si c'est ce que les gens veulent penser, tant pis, mais moi je sais que je n'ai rien à me reprocher sur ce point : dans mon école, j'ai Tony Mafate qui est un des élèves que je mets le plus en avant et qui vient de la Réunion, j'ai en ce moment Anfuati, qui est une catcheuse qui est là depuis l'année dernière et qui s'entraîne toujours avec moi, son père est noir, elle est bretonne, métisse et elle a un vrai potentiel ; j'ai eu Kim Kaycee qui est d'origine kabyle… Voilà, quoi. Pour revenir aux tweets, je les ai effacés parce que je ne voulais pas que la situation s'envenime et que ça soit détourné. Mais dire que je suis antisémite, tout ça, c'est vraiment un mauvais procès. Moi, ça me semble plus grave d'annoncer sa propre mort pour faire parler de soi que de reprendre une citation de Dieudonné, il faut aussi que chacun se regarde dans la glace…
Ok, Booster aime les quenelles. Pas la peine d'en faire un fromage.
Il voulait faire comme Vince McMahon, voilà tout ! [rires]
Oui, mais voilà : quand c'est dans une storyline, ça marche, pas là. Très franchement, pour moi, Mercier c'est un gars qui a du génie, qui aurait pu être d'une utilité immense pour le catch français. Mercier, bien « utilisé », c'est une force majeure pour le catch français, un atout unique. Le seul truc, c'est que même lui ne voit pas ça. Il détesterait que je dise ça, mais je vais quand même le faire : bien encadré, avec quelqu'un au-dessus de lui pour lui mettre des limites, Mercier serait un atout fabuleux pour le catch français. Mais il ne peut pas être patron, c’est impossible. Peut-être que j’en suis incapable aussi, c’est à celles ou ceux qui bossent avec moi de le dire… Malheureusement, ça ne se passe pas comme ça. Après, pour revenir au fond de votre question, on peut m'accuser d'à peu près tout, mais je ne vais pas forcément prendre le temps de me défendre parce qu'il y a des accusations qui ne sont pas dignes d'être relevées. Parce qu'on va dire quoi après ? Que je cours après les petits enfants ? Les gens sont assez intelligents pour voir ce qu'il en est vraiment, ce n'est pas forcément la peine de relever ce genre de bêtises. J'ai confiance en l'intelligence. Et il y a des gens qui m'ont rencontré : eux savent ce que je suis et ce que je ne suis pas.
Ne pensez-vous pas que tout ça s'est un peu emballé à cause d'un mélange entre kayfabe en réalité ? Vous l'avez dit vous-même d'ailleurs, à force de jouer un personnage, ne croyez-vous pas que des attaques kayfabe ont fini par faire naître une animosité bien réelle ?
Oui, c'est d'ailleurs pour ça que j'ai longtemps été coupable de ça. Il y a pas mal de tweets, de messages sur Facebook que j'ai publiés et qui étaient plus en réaction à des choses que des gens pouvaient dire comme si c'était des personnages ; et je m’en suis amusé parce que je trouvais ça ridicule. Il y a des gens qui m'ont souvent posé la question sur le fait que j'avais eu pendant longtemps la gimmick de French Wrestling God, ils trouvaient ça ridicule. Je leur répondais que c'est exactement pour ça que je le faisais : quand je suis en face de quelqu'un qui me sort qu'il est une légende du catch français, pour moi, les légendes, c'est seulement à la WWE et dans quelques autres fédés, et encore… Qui peut se comparer à Bill Watts, Misawa, Karl Gotch, Dynamite Kid, Manami Toyota, Hulk Hogan ou Giant Baba ? Je me dis « merde, est-ce qu'on ne peut pas juste se parler en tant que passionnés du catch ? » Moi, ça fait dix-huit que je fais ça, mais je ne me considère pas comme un monument du catch, j'aimerais juste parler à de vraies personnes, sans que l'on cherche à vouloir m'impressionner ni jouer un personnage. Alors c'est vrai que parfois, je remettais une pièce dans la machine, mais c'est le genre de choses que je ne ferai plus parce que c'est peut-être amusant sur le coup, mais sur le long terme c'est mauvais pour l'image de tout le catch français.
Et ce sera le mot de la fin. Merci beaucoup Booster d'avoir répondu à mes questions !
Avec plaisir. C'est toujours un plaisir de parler de catch.
Question existentielle : vous le préférez avec ou sans cheveux ?