Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis. — Saint-Exupéry
Dans le monde du catch, on a toujours eu affaire à des histoires de famille. Le clan Mc Mahon, la récente Legacy, les nombreux Samoans n’en sont que quelques exemples. Mais le symbole restera tout de même la Hart foundation qui en est à sa troisième génération. Les catcheurs font des catcheurs c’est bien connu.
Voyant les choses en grand, Stu et Helen Hart fabriquent donc dans les années 1950 et 1960 une belle portée de douze enfants. Excepté un intrus devenu pompier (ce qui serait pourtant un bon gimmick), tous auront un lien avec le catch. Les sept autres garçons seront sur le ring, les filles épouseront des lutteurs. Ainsi soit-il. Evidemment, ces couples produiront à leurs tours des futurs catcheurs comme DH Smith, fils du regretté British Bulldog et de Diana Hart, qu’on devrait bientôt voir faire des galipettes à la WWE. Chez les Hart, le catch ne se passe donc pas que sur le ring mais également dans la chambre à coucher. Et on préfère ne pas imaginer quelle pose du Kamasutra a donné naissance au starpshooter, véritable marque de fabrique de la famille.
Dans toute cette tripotée de gamins, deux arriveront à atteindre les spotlights de la WWF. Bret et Owen. Les Abel et Caïn canadiens. Le destin tragique d’Owen nous a traumatisés dans notre prime enfance, c’est pourquoi nous lui consacrons cet hommage détaillé.
Owen Hart est le plus jeune de la famille. Sa voie est donc toute tracée, et il arrive rapidos à la WWE (les longues études couronnées par une remise de diplômes à Harvard n’ont jamais été réellement envisagées). A ses débuts, il tente d’imposer un personnage, « The blue blazer » mais celui-ci ne convainc pas Vince Mc Mahon, entrevu baillant aux corneilles devant ce super héros qui semble avoir piqué l’attirail de Ric Flair et inspiré le style vestimentaire du futur Rey Mysterio.
Les débuts sont difficiles, les tentatives de lancer des tag teams avec Jim Neidhart (beau-frère) ou avec le rigolard Koko B. Ware tournent court, avec un seul pay per view chaque fois. Owen se blessera lors du Royal Rumble 1993 (où il ne tiendra que cinq minutes avant de se faire envoyer balader par Yokozuna) et se fera envoyer en ligue de développement. Sympa comme début dans la vie, on en connaît qui ont sombré dans la drogue pour moins que ça. Mais le garçon a du sang bleu et de la ressource.
Son retour aura lieu lors des Survivor Series de la même année, lors d’un match entre les Hart (Bret, Bruce, Keith et donc Owen) et Shawn Michaels accompagné de 3 « chevaliers ». Owen s’en sortira de fort belle manière, brillant d’autant plus qu’il est accompagné d’un Bret souffrant du genou et de deux frangins inutiles. Il éliminera deux adversaires avant de céder sur une prise de soumission du Heartbreak Kid. Il accuse dans un premier temps son frère de lâcheté et lui demande un match un contre un, que Bret refuse. On enterre provisoirement la hache de guerre, mais ce n’est que partie remise.
Quelques semaines plus tard, Bret et Owen lutteront ensemble contre les Quebecers pour le titre par équipes au Royal Rumble 1994. Seulement le genou de Bret subit un choc qui obligera l’arbitre à stopper le match. Owen enrage et s’en prend à son frère qu’il juge responsable de la défaite. C’est ce heel turn d’Owen qui le pushera vers le devant de la scène (un peu comme Eric Besson). Il défiera Bret après que ce dernier eut gagné le Royal Rumble, conjointement avec Lex Luger, alors qu’on l’avait quitté quelques minutes auparavant se tordant de douleur sur le ring. Owen, qui s’était fait envoyer par dessus la troisième corde par le « not yet big Daddy cool » Diesel au bout de quelques minutes, est dévoré de jalousie !
La WWF a donc l’idée de faire d’Owen le frère narcissique et jaloux de sa tête de gondole. Bret est peut être trop lisse, après tout, et Owen, qui a plus de charisme que les beaux-frères Davey Boy Smith ou Jim Niedhart réunis, a tout pour faire un heel crédible. La storyline actuelle entre Jeff & Matt Hardy aurait pu atteindre ce niveau mais l’oeil torve de Matt et la paralysie oratoire de Jeff ne le permettront sûrement pas. Le premier match entre Owen et Bret survient lors de Wrestlemania X. Rappel de la situation : le vainqueur du Royal Rumble doit affronter le champion (Yokozuna) lors de ce pay per view. Or il y a deux vainqueurs du Rumble, puisque Bret et Luger, les deux derniers hommes dans le ring, ont basculé par-dessus la troisième corde au même moment… Il y aura donc deux matchs, suite à un tirage au sort. Afin de ne pas pénaliser le vainqueur du toss, qui se cognera Yokozuna, le perdant débutera le show contre Owen Hart ou Crush. Bret perd le toss et affronte son frère. Le match sera intense. Owen sortira vainqueur du duel fratricide au bout de 20 bonnes minutes d’enchaînement de Sharpshooters (prise ridicule des Hart ou l’on s’assoit sur le cul de son adversaire en s’appuyant sur les jambes, jusqu’à ce qu’il demande grâce) et de blessure simulée au genou. Malgré cette défaite inaugurale, Bret remportera dans la foulée la ceinture de champion face a Yokozuna, qui avait précédemment écrabouillé le bodybuildé Lex Luger. C’est donc à la fois à son frangin et au champion qu’Owen s’en prend désormais.
Au King of the Ring, Owen remporte le tournoi en éliminant Doink le clown, Tatanka, le 123 Kid et en finale Razor Ramon, avec l’aide du beau-frère Jim, qui participera avant à la défaite par disqualification de Bret Hart face a Diesel. Owen se baptisera King Of Harts et dénigrera son frère lors de son « discours d’intronisation » : « gnagnagna, Bret mange ses crottes de nez et celles des autres, je suis le meilleur et le chouchou de ma famille, mon frère se tape ma soeur et l’a mise enceinte d’un raton laveur » (on cite de mémoire)… Bref, un recueil de poésie baroque.
La feud se règlera, car il faut bien en finir, par un match en cage à «SummerSlam» pour le titre de champion. Il faut que vous regardiez ça, c’est épique à souhait avec les participations du British Bulldog et de Jim Neidhart. Caïn triomphe d’Abel, qui se vengera sur le beau-frère Davey Boy avec l’aide de Jim, puis les deux s’en prendront à Bret avant que le reste de la smala n’intervienne.
La feud familiale n’en reste pas là. Aux Survivor Series, Owen et Davey Boy Smith s’affrontent à deux reprises. Tout d’abord lors d’un 5 vs 5, Faces (Razor Ramon, 123 Kid, The Headshrinkers, DB Smith) vs Heels (Diesel, Shawn Michaels, Jeff Jarrett, Jim Neidhart, Owen Hart) marqué par la domination de Diesel, qui encaisse un Sweet chin music involontaire de la part de Michaels, et une poursuite à la Satanas et Diabolo où Michaels est la proie de Diesel, que ses coéquipiers tentent vainement de stopper. Les Heels seront éliminés par décompte de l’arbitre. Ensuite, Owen et Davey Boy seront chacun dans un camp lors du « soumission match » pour le titre de World Wrestling Champion entre Bob Backlund et Bret Hart. Bret est également accompagné des parents, Stu et Helen. Lors du match, le British Bulldog (c’est lui, hein, Davey Boy Smith, au cas où vous seriez confus) est KO, Bret Hart est distrait et se retrouve soumis a la prise de Backlund, « the crossface chickenwing » (le nom le plus terrifiant de l’histoire des prises de soumission). Machiavélique, Owen supplie ses parents de stopper les souffrances de son frère en le faisant abandonner. Maman est gentille et aimante, croit à la réconciliation familiale et jette l’éponge. Backlund récupère le titre, Bret chiale. Owen est heureux et célèbre la défaite de son frère, maman l’a dans l’os.
Owen et Jim relanceront une Tag team qui sera vite abandonnée suite à une défaite face à Bret et Davey Boy. Le dernier clou dans le cercueil sera l’élimination au premier tour du tournoi par équipes contre les Headshrinkers Fatu & Sionne (des sauvages joyeux). Owen, dont il faut saluer la persévérance, n’en reste pas là. Il interviendra encore à plusieurs reprises dans les matchs de Bret, si bien que chaque fois que celui-ci est dans le ring, la menace de l’arrivée d’Owen plane dans l’air…
Mais toutes les bonnes choses ne durent qu’un temps. La feud Owen / Bret dure depuis un bail et les challengers pour les ceintures sont nombreux. Il faut leur faire un peu de place sous les spotlights. La WWF imagine alors qu’Owen va se présenter avec un partenaire mystère pour la conquête du titre par équipes, détenu par les Smokin’Gunns (deux rednecks torse nu, en jean et santiags, qui s’appellent Bart Gunn et Billy Gunn ; ils font semblant de tirer au pistolet de souffler sur la fumée). Qui sera l’homme mystère ? Encore une fois Jim Neidhart, l’éternel beau-frère ? Non, cette fois on aura droit à une star réputée mais un peu délaissé depuis un casket match perdu face à l’Undertaker. Oui, le partenaire d’Owen sera nul autre que l’ancien champion Yokozuna! Le match en question aura lieu lors du onzième WrestleMania et tournera en faveur des challengers… bon, en même temps, c’était un peu logique après une si longue attente.
Les Smokin’ ont droit a un rematch lors du premier «in your House» mais ne tiendront que cinq petites minutes. Le couple Owen-Yoko fonctionne bien, la vitesse du premier et la puissance du second formant un combo dévastateur. Owen est aux anges et ça va durer quelques mois glorieux, constellés de victoires. Les deux hommes finissent par être confrontés au duo Diesel – Shawn Michaels, respectivement World et Intercontinental Champion. Tous les titres sont en jeu dans ce match ! Malheureusement pour leurs espoirs de gloire, Diesel éclatera Owen avec sa Jacknife Powerbomb. Owen et Yoko récupèrent cependant leurs ceintures le lendemain, quand leur avocat déclare qu’il y a litige (à se demander ce qu’il traficotait à la signature du contrat). Ils remettent leur titre en jeu face aux Smokin’Gunns le soir même … et se feront battre. Du coup, leur équipe se sépare. Owen recule alors au second plan. Il passera un petit moment dans ce qu’on appelle dans le jargon le « qu’est ce qu’on peut bien te donner à faire, mon petit gars », les arrivées de Triple H, Savio Vega, Henry Goodwinn et autres Goldust lui laissant de moins en moins de place dans les storylines — un peu ce qui arrive à CM Punk en 2009 : un push sensible suivi d’un retour progressif en midcard.
Après un Royal Rumble 96 correct, Owen se réconciliera avec le British Bulldog. Ils formeront un duo qui ne résistera pas aux Godwinns lors du tournoi par équipes mais battent lors du 7e «in your House» Jake Roberts et Ahmed Johnson… Bon, tout ça reste très léger, rien de convaincant, faut pas se leurrer, les deux hommes ne sont plus les maint eventers d’il y a un an. Ils gagneront toutefois le titre face aux immortels Smoking et le défendront face à plusieurs challengers, dont un faux duo Diesel – Razor Ramon (les orignaux étant partis à la WCW), puis Doug Furnas & Phil Lafon lors du treizième «in your House», et enfin Mankind et Vader à «WrestleMania».
A cette époque, le gros buzz du moment, c’est le heelturn de Bret face au nouveau chouchou Steve Austin, et la reformation de la Hart Foundation (avec donc Bret, Owen, le Bulldog et également Jim Neidhart et Brian Pillman) qui se battra contre… les Américains.
C’esrt la grande époque du Canada vs USA (longtemps avant le film South Park), via la feud Austin-Hart qui perdure. Le duo Owen-Davey Boy affronte lors du 14e In Your House l’effrayante Legion of Doom. Bret Hart viendra au secours de sa famille en s’en prenant directement à l’arbitre. Quelques jours plus tard, Owen Hart remportera son premier titre individuel en battant le futur The Rock lors d’une émission hebdomadaire, où Owen attaquera également le champion poids lourd l’Undertaker lors d’un duel opposant celui-ci au champion européen, le Bulldog. La Hart Foundation interviendra massivement lors du pay per view suivant en s’attaquant conjointement au Deadman et à Austin (ce dernier n’aimant aucun des Canadiens, comme le montre sa fameuse irruption ce au domicile de Pillman ou la séquence où il menaça Neidhart avec une hache) et la feud atteindra son apogée lors du seizième In your House, tenu à Calgary. Le maint event étant la confrontation tant attendue entre les 5 catcheurs de la Hart Foundation et une équipe composée d’Austin, Goldust, Shamrock et The Legion of Doom. Match tenace qui verra la victoire des Canadiens (un peu logique étant donné que ça se passe là bas). Toute la famille monta sur le ring après avoir menotté Austin !
Des semaines plus tard, ce dernier challenge Owen Hart pour la ceinture Intercontinental mais ce dernier ajoute une petite condition en nota bene, le genre de ligne en bas d’un contrat d’assurance qu’on ne lit jamais. Si Austinchou perd, il devra embrasser les fesses du vilain Owen. Match assez important pour la carrière de Stone Cold, vu que suite à une manœuvre légèrement ratée, il se blessera au cou, ce l’handicapera pour le reste de sa carrière. La WWF, jamais avare de bonnes idées, fera porter à Owen un t-shirt « Owen 3:16/I Just Broke Your Neck ». On n’a pas dit que c’était drôle. La mort de Pillman entraînera la fin de la Hart Foundation et Owen se retrouvera seul à affronter Austin. Quelques heures avant leur combat, Owen remportera le tournoi pour la ceinture intercontinentale, laissée vacante par un Stone Cold blessé — avec l’aide de ce dernier d’ailleurs, qui déclarera plus tard qu’il préfère re-fesser Owen que d’affronter un autre gars. Evénement qui arrivera lors des Survivor Series de 1997 à Montréal, restées dans l’Histoire pour le fameux Screwjob : Bret Hart se fait niquer par Michaels et la WWF, à la suite de quoi Bret, Davey Boy et Jim Neidhart quitteront également la WWF. Owen est donc esseulé et pas vraiment dans le coeur de Vince Mc Mahon, qui attend patiemment la fin de son contrat. Owen qui se verra toutefois proposer quelques petits plans comme une agression sur le Heartbreak Kid et feudera avec Triple H pour le titre European, qu’il ne gagnera pas, mais il obtiendra quand même un titre de champion par équipe avec Jeff Jarrett.
Owen quittera prétendument la WWF après avoir soi-disant blessé Dan Severn sur un mauvais piledriver. Et c’est ainsi que revient le Blue Blazer! La WWF jouera sur son identité, les gens se souviennent vaguement du personnage du début de la décennie. Qui se cache derrière le masque ? Jeff Jarrett, le revenant Koko B. Ware, Pedro le coati ? Ce personnage masqué symbolise les maigres tentatives d’intéresser la foule avec autre chose que Steve Austin, Mankind, Kane et la D-Generation X et de donner au public plus de trois combats durant l’Attitude Era. Owen, tenant d’un catch plus distrayant à l’ancienne, semblait moyennement enclin à jouer le jeu de l’Attitude et à contribuer à une évolution de la WWF vers plus de sérieux et de glauque. Epoux aimant, père de deux enfants en bas âge, il refusa une storyline dans laquelle il aurait dû passer pour l’amant de Debra, la manageuse de son comparse du moment, Jeff Jarrett (il lui aurait dit à ce propos « j’en ai marre Jeff, j’arrête »).
Malheureusement, la fin sera tragique. Le 23 mai 1999, alors qu’il devait lutter pour le titre intercontinental détenu par le Godfather en arrivant du plafond, accroché à une corde, il chute de 24 mètres suite à un problème intervenu dans le mécanisme. Tout catcheur qu’il soit, ça fait haut. Owen décèdera à l’hôpital de Kansas City. Né dans le catch, éduqué dans le catch, Owen aura vécu dans le catch. Sa mort ne pouvait que se passer dans le ring, Molière-style. Un émouvant hommage lui sera rendu à Raw, rebaptisé pour l’occasion Raw is Owen où Mark Henry lira un poème et Jeff Jarrett vaincra le Godfather pour le titre que devait obtenir Owen. Mais la WWF n’en sera pas quitte, et après un procès bien tendu, sera condamnée à verser à la famille Hart 18 millions de dollars. Ceux-ci seront distribués aux membres de la smala, qui les dépenseront pour acheter des maisons, des lits et des draps et concevoir des nuées de futurs catcheurs. L’histoire continue.
Article originalement publié le 27 mars 2009.