And the new US Champion is…

I really do love you people, even the ones who don't like me so much.

Donald Trump (approved by John Cena)

 

Ébahie, la planète entière tente de comprendre par quel maléfice Donald Trump a réussi un exploit que l’on croyait, hier encore, impossible : prendre la tête de la première puissance mondiale. Nous, on a l’explication : le  nouveau président des Stazunis incarne un condensé vertigineux de tous les gimmicks les plus populaires de l’histoire du catch. Et comme la psyché américaine est profondément imprégnée des codes catchesques… ben il a gagné.

 

 

Hmm, je suis un peu déçu, je pensais qu’on me filerait une belle ceinture qui brille.

 

 

Donald Trump, le catcheur ultime à la Maison Blanche

 

I really do love you people, even the ones who don't like me so much.

Donald Trump (approved by John Cena)

 

Ébahie, la planète entière tente de comprendre par quel maléfice Donald Trump a réussi un exploit que l’on croyait, hier encore, impossible : prendre la tête de la première puissance mondiale. Nous, on a l’explication : le  nouveau président des Stazunis incarne un condensé vertigineux de tous les gimmicks les plus populaires de l’histoire du catch. Et comme la psyché américaine est profondément imprégnée des codes catchesques… ben il a gagné.

 

 

Hmm, je suis un peu déçu, je pensais qu’on me filerait une belle ceinture qui brille.

 

 

Donald Trump, le catcheur ultime à la Maison Blanche

 

 

Que POTUS 45 connaisse et apprécie le catch, ce n’est pas un mystère. Chacun, au moins ici, a en mémoire ses nombreuses interactions avec son grand pote Vince McMahon, couronnées par son accueil de Wrestlemania IV et V (1988 et 1989) à Atlantic City, une séquence mémorable à Wrestlemania 23 en 2008, un vrai-faux rachat de Raw un an plus tard et, enfin, une entrée au Hall of Fame de la WWE en 2013.

 

 

C’est le plus beau jour de ma vie. Jamais je ne vivrai de moment plus gratifiant.

 

 

L’ami Spanishannouncetable a déjà étudié l’impact du catch sur la campagne du futur vainqueur dans cet article que je vous invite à relire à l’aune du séisme de ce matin. Sans remettre sérieusement en cause sa conclusion — « L'apport du catch au phénomène Trump apparaît comme mineur » —, il est permis de s’amuser un peu en ce jour où la majeure partie de l’humanité arbore une sombre mine et d’analyser le phénomène du Donald à travers une grille d’analyse spécifiquement catchesque. Un filtre qui permet de constater que, en ces temps de storytelling exacerbé, le milliardaire a parfaitement joué de nombreux codes bien connus des fans de l’ignoble art. Or ces derniers se comptent en dizaines de millions aux US of A, et les codes en question, ils les ont tellement assimilés, même inconsciemment, que la redoutable combinaison trumpienne n’a pu que les séduire. Je parle bien de combinaison : Trump n’a pas gagné en endossant un gimmick unique, mais en mixant plusieurs gimmicks parmi les plus populaires de tous les temps. Il serait d’ailleurs passionnant de découvrir le résultat spécifique des votes des fans de catch, mais on a déjà notre petite idée sur la question…

 

 

Demain, on rase gratis!

 

 

La course à la Maison Blanche se déroule en deux temps : il faut d’abord remporter les primaires au sein de sa propre formation, puis vaincre le candidat présenté par le parti adverse. Quand démarrent les primaires républicaines, Trump est au départ sur la même ligne qu’une quinzaine d’autres personnalités. N’étant pas un cadre du puissant parti de l’éléphant, il ne peut guère compter sur les structures partisanes pour assurer son succès, au contraire : l’establishment du PR le déteste et préfère manifestement d’autres options (au premier rang desquelles Jeb Bush et Marco Rubio).

 

C’est la foire d’empoigne : parmi la quinzaine de candidats à l’investiture en lice, on retrouve nombre de gimmicks très marqués, notamment les fous religieux Ted Cruz, Mike Huckabee, Rick Santorum ou encore Ben Carson (qui est par ailleurs noir et espère bénéficier d’un hypothétique effet communautaire), le libertarien Rand Paul, la star latino Rubio, le successeur Jeb Bush…

 

 

CM Punk is not impressed.

 

 

 

Dans ce barnum, Trump doit se faire une place. Comment convaincre les sympathisants républicains de se ranger derrière son panache orangé ? L’homme est conscient de son incapacité à vaincre ses adversaires sur leur propre terrain (sa vie est trop dissolue pour qu’il puisse de façon réaliste incarner les valeurs conservatrices; ses déclarations en matière économique, étalées de longue date, sont trop contradictoires pour qu’il puisse séduire les électeurs dont la seule obsession est une réduction drastique de la place de l’État; sa cred black et latino est minime; et, on l’a dit, il n’est pas issu du cénacle du Parti, favorable à un rappel aux manettes de la dynastie Bush).

 

Il décide donc de jouer sur ses points forts à lui, sur ce qui le distingue du reste de la bande. Et ses points forts, ils sont au nombre de trois : 1) Il est très célèbre, bien plus que tous les autres réunis, notamment du fait du carton d’audience de son émission de télé-réalité The Apprentice où, bien avant son pote VKM, il popularise le sinistre « You’re fired », rôde un bagout que tous ses concurrents lui envient et se dote de l’image d’un type intraitable; 2) Il est immensément riche et vit dans un luxe exubérant qui fait rêver une bonne partie de la population; 3) C’est un businessman accompli, qui a réussi dans les affaires au-delà de l’imaginable, et qui n’hésite pas à partager ses secrets (par exemple, son livre The Art of the Deal, publié dès 1987, a été un immense bestseller, vendu à plus d’un million d’exemplaires).

 

 

Leçon WWE n°54 : toujours se placer au centre de la photo de groupe de façon à faire passer les autres pour des jobbers.

 

 

Le message du Donald est simple : mon programme, c’est moi. J’ai réussi dans le business comme personne d’autre, donc l’économie, je maîtrise. Vous me connaissez et vous m’enviez : autant m’élire moi et pas un no-name qui ne vous fait pas rêver. Et vous savez que je suis un tough guy : avec moi, ça sera no bullshit, je ferai le nécessaire pour remettre de l’ordre dans ce pays dévasté. Mais comment présenter ce message? D’une part, il y a une catchphrase magique, dont la simplicité et la concision semblent issues du cerveau d’un créatif de la WWE : « Make America Great Again ». Putain, ça se chante même, et bien!

 

À côté, les slogans du reste de la meute font pâle figure : « New Possibilities. Real Leadership », promet Cathy Fiorina, qui a l’air de ne pas avoir compris qu’elle n’est pas en lice pour un siège dans le conseil d’administration d’une entreprise quelconque. « Heal. Inspire. Revive », bafouille Ben Carson, qui semble vendre du Sprite. « From Hope To Higher Ground » de Mike Huckabee rappelle plutôt le titre d’un album vaguement new age. « Reigniting the Promise of America », de Ted Cruz, est trop lourd. « A New American Century » de Marco Rubio a quinze ans de retard sur le début du siècle.

 

 

Y avait « We, the People », aussi, mais ils le voulaient tous, donc personne l’a eu.

 

 

Une catchphrase qui claque, c’est déjà la moitié du succès. Mais il faut parcourir l’autre moitié en élaborant un gimmick qui colle bien avec. C’est là que survient le coup de génie de Trump : alors que tout le monde la joue babyface, lui va sans complexe se la péter heel charismatique.

 

Il n’a pas oublié la fascination exercée en son temps sur les foules par Ted DiBiase senior, ce Million Dollar Man qui balançait des biftons dans le public, arborait des costards à 10 000 dolls et martelait que tout pouvait être acheté. Un rôle facile à jouer pour lui, sans doute proche de ses convictions réelles. Dans le même temps, il sent qu’après une présidence Obama que l’électorat républicain juge faible et laxiste, le meilleur moyen de plaire à ses concitoyens effrayés est d’afficher sa dureté : à l’instar de Vince McMahon dans ses heures les plus radicales, il surjoue le chef brutal et impitoyable qui va mettre ses ennemis au pas par tous les moyens. Les terroristes, les criminels, les étrangers en situation irrégulière, les fainéants de Washington seront tous « fired », les Wetback Walkers seront coincés derrière un putain de gros mur et y a « no chance in Hell » qu’il hésite une seconde.

 

 

Tu vois, pour te faire respecter, faut que tu dises à tout le monde que t’as de très grosses couilles et que t'écraseras quiconque se mettra en travers de ton chemin.

Hmm, ça doit être dans mes cordes.

 

 

Le succès est au rendez-vous, et Trump grimpe sans cesse dans les sondages. Les premiers délégués tombent dans son escarcelle. Son propre parti se ligue contre lui au fur et à mesure de son ascension, au point qu’il est question d’une Convention négociée (c’est-à-dire qu’il ne serait pas nommé candidat républicain même si les militants votaient majoritairement en sa faveur). Dans cette situation nouvelle, le Donald amorce un tweener turn : il puise dans le registre du dur à cuire solitaire, qui brise les règles et emmerde une institution injuste : il y a clairement du Stone Cold dans ce type qui envoie paître les boss du parti et joue sa propre carte malgré les menaces et les attaques du système. Face à ce redoutable caméléon, à la fois fascinant par sa richesse (DiBiase), intimidant par sa détermination (McMahon) et rebelle par son isolement (Austin), tous ses adversaires, dont les gimmicks sont nettement moins variés, lâchent prise les uns après les autres, et le 7 juin, il reçoit sous les confettis son statut de First Contender.

 

 

Avouez qu’il y a de quoi prendre la grosse tête.

 

 

C’est déjà une victoire colossale. Au début des primaires républicaines, aucun expert au monde n’évoquait sérieusement la possibilité d’une nomination de Trump. Le milliardaire, disait-on, s’était mêlé à la course soit par mégalomanie, soit dans le calcul de s’offrir un tour d’honneur sur la scène nationale et donc d’accroître encore sa notoriété et, partant, ses positions dans le business, notamment médiatique. Il allait se faire manger tout cru par les pontes du parti, à l’instar d’autres hurluberlus vite oubliés des scrutins passés, type Pat Buchanan en 1992. Son triomphe est donc un choc, une sorte de « Milan Miracle » qui booste sa popularité : ce mec s’est sorti d’un marigot impensable, respect quand même!

 

Mais la marche suivante apparaît carrément insurmontable. Non seulement l’adversaire pour le titre de USA Champion possède de gros atouts (immense expérience, grand nom, attrait particulier auprès de l’électorat féminin) mais, en plus, le contexte général est très défavorable au candidat républicain, quel qu’il soit : la démographie penche en faveur des démocrates, qui semblent assurés de l’emporter dans tous les cas de figure. Le contexte est rendu encore plus compliqué par la défiance que de nombreuses personnalités majeures du PR continuent d’afficher envers Trump (même si quelques-uns de ses anciens concurrents finissent par rejoindre son Kiss my Ass Club), tandis que, à l’inverse, tous les caciques démocrates se rangent sans états d’âme aux côtés de Hillary, y compris son adversaire malheureux de la primaire démocrate Bernie Sanders et, bien sûr, Barack Obama himself. Bref, notre mélange de DiBiase, McMahon et Austin est donné perdant à coup sûr. Une fois de plus.

 

 

Les instituts de sondage, c’est comme les votes sur WWE.com : ça n’engage que ceux qui y croient.

 

 

Dès lors, Trump va innover. Il a conscience que, s’il veut accéder à la Maison Blanche, il va devoir employer un autre registre que celui qui lui a permis de venir à bout de ses concurrents lors du Royal Rumble républicain. Il avait déjà entamé une évolution de son gimmick en la jouant Austin, à savoir l’homme qui se dresse face à une institution qui veut sa perte. À présent, pour retourner l’opinion, il insiste encore davantage sur cette facette « seul contre tous » de son personnage, se positionnant clairement comme l’Ultimate Underdog Rey Mysterio : personne ne croyait que c’était possible, et pourtant il a gagné la première bataille; personne ne croit qu’il peut aller encore plus haut, tout en haut de la montagne, mais il le fera aussi! Une rengaine qui, évidemment, est très proche de l’inusable « Never Give Up » cher à qui vous savez (d’ailleurs, le Donald a donné ce titre à l’un de ses livres, paru en 2008).

 

 

Hey, y a copyright, merde!

 

 

Mais, et c’est tout le génie de Trump, il ne se contente pas d’en appeler à la sympathie des fans au nom de son statut de challenger confronté à une tâche à première vue insurmontable. Pour les persuader qu’il est l’homme de la situation, il va également déployer d’autres aspects, empruntant là encore à bon nombre de catcheurs légendaires afin d'affirmer son invulnérabilité, sa virilité et sa foi absolue en sa destinée manifeste. Du Rock il arbore l’attitude gouailleuse et cassante, multipliant les répliques à la fois agressives et joviales qui font de lui un centre d’attention constant : quand il prend le micro, on sait toujours qu’il va se passer quelque chose d’électrisant, et qu’il ne va pas se laisser emmerder par la plus élémentaire des politesses. Ses piques à l’encontre de Clinton n’ont rien à envier aux plus fameuses punchlines du Brahma Bull à l’égard de ses Némesis.

 

 

– Well, about the Middle East situation, I think…

It doesn’t matter what you think, bitch!

 

 

Son assurance est colossale, il ne semble jamais douter, la certitude de sa supériorité en tant que leader et de sa victoire finale est ancrée au plus profond de son cortex : il y a là non seulement du Rock (« The Donald says… ») et du Austin (« And that’s the bottom line cause Donald said so ») mais aussi du « I am the best in the world at what I do » à la Chris Jericho, du King of Kings façon Triple H, voire du « You shall rest in peace » du Deadman. Dans le même temps, sa dénonciation du système évolue également : il ne se contente plus de combattre pour survivre dans un environnement féroce à l’instar de Steve Austin, il veut révéler au monde l’ignominie du régime, comme Punk lors de son fameux été !

 

 

… and I'd like to think that maybe this country will be better after Hillary Clinton is dead, but the fact is it's gonna get taken over by her idiotic daughter and her doofus husband and the rest of her stupid family.

 

 

Et comme si ce combo féroce ne suffisait pas, il prend soin d’y ajouter une touche de glamour macho à la Ric Flair — au fond, chaque électeur s’émerveille du « jet flying, limousine riding, kiss-stealing, wheelin'n' dealin' son of a gun »…

 

 

Woo!

 

 

… le tout étant, évidemment, enrobé dans un patriotisme basique à la Hulk Hogan, ce « Real American » qui à l’inverse de Clinton, accusée de mentir en permanence et de n’avoir aucune vraie conviction, « feels strong about right and wrong », et « fights for what’s right ».

 

 

– Eh bien, Hulk, merci beaucoup pour cette discussion très enrichissante. J'ai compris beaucoup de choses sur l'amour du pays et le devoir sacré de chaque Américain.

– Merci aussi Donald. J'ai pour ma part beaucoup appris sur les dernières innovations en termes de moumoute.

 

 

Tout cela en fait, aux yeux de l’électorat, un candidat simultanément sympathique (il est le challenger face à la « championne en exercice » appuyée par tout le système), fun (c’est l’entertainer ultime), fort (c’est le mâle alpha par excellence) et admirable (il a plus que réussi dans la vie, il a couché avec des centaines de gonzesses de folaille et aujourd’hui, à 70 balais, il est encore marié à une bombe de 25 ans sa cadette).

 

Mais son plus grand tour de force, ce n’est pas de s’inspirer de Hogan, Cena, Austin, Rock, Flair, Mysterio, Triple H et consorts. C’est de s’inspirer de Dusty Rhodes. En 1985, celui-ci a claqué une promo mémorable qui aujourd’hui encore passe pour l’une des plus fondamentales de l’histoire du catch, la séminale « Hard Times ». Il y explique toute la dureté de la vie quotidienne des cols bleus, qui triment comme des damnés, sans espoir, car ils savent que le rêve américain n’est plus qu’un lointain souvenir : « Hard times are when the textile workers around this country are out of work, they got 4 or 5 kids and can’t pay their wages, can’t buy their food. Hard times are when the auto workers are out of work and they tell ‘em to go home. And hard times are when a man has worked at a job for thirty years, thirty years, and they give him a watch, kick him in the butt and say “hey a computer took your place, daddy”, that’s hard times! ». En relayant ce sombre message — « The American Dream is dead », a-t-il proclamé —, en se plaçant résolument aux côtés des ouvriers déclassés et abandonnés aux tourments de la mondialisation, Trump parvient, malgré ses milliards, à mettre le point final à un gimmick multiforme auquel il aurait gravement manqué, sans cela, un indispensable aspect social.

 

 

Cela dit, difficile de donner factuellement tort à Trump quand il annonce la mort de l’American Dream.

 

 

Naturellement, ce combo n’aurait pas suffi à lui assurer la victoire si son adversaire n’avait pas suscité (pour des raisons qu’on ne va pas développer ici car ce serait trop long et ce n’est pas le sujet) une franche aversion d’une bonne partie des électeurs ou si tout simplement il avait fait face à un autre candidat qu’elle. Mais pour réussir son pari insensé, le Hall of Famer devait absolument combiner toutes les caractéristiques présentées ci-dessus. Il y est parvenu. Le reste appartient à l’Histoire.

 

 

Le mot de la fin.


Publié

dans