Government is the Entertainment Division of the military-industrial complex.
Frank Zappa
Bonjour à toutes et à tous et bienvenue à la Spanish Announce Table, le seul endroit où sont nées les légendes, où les carrières ont été brisées et où on va parler de Donald Trump, du catch, et de l'influence de ce dernier sur la tentative de carrière politique du Hall of Famer. Ah, et comme une fois n'est pas coutume, cet article sera peut-être lu par des gens qui s'y connaissent moins en catch que le lecteur habituel de ces colonnes, on va détailler plein de trucs.
Donald, c'est même pas le bon doigt pour le message que tu veux faire passer.
Tout ce que vous avez voulu savoir sur Donald Trump, la politique et le catch
Government is the Entertainment Division of the military-industrial complex.
Frank Zappa
Bonjour à toutes et à tous et bienvenue à la Spanish Announce Table, le seul endroit où sont nées les légendes, où les carrières ont été brisées et où on va parler de Donald Trump, du catch, et de l'influence de ce dernier sur la tentative de carrière politique du Hall of Famer. Ah, et comme une fois n'est pas coutume, cet article sera peut-être lu par des gens qui s'y connaissent moins en catch que le lecteur habituel de ces colonnes, on va détailler plein de trucs.
Donald, c'est même pas le bon doigt pour le message que tu veux faire passer.
Tout ce que vous avez voulu savoir sur Donald Trump, la politique et le catch
Or donc, depuis quelques semaines, on lit, ici ou là, que l'une des raisons du succès de Donald Trump aux primaires républicaines serait à rechercher du côté de ses apparitions aux abords des rings de la WWE, principale fédération de catch aux Etats-Unis et poids lourd du divertissement sportif.
Cette idée est apparue dans Rolling Stone puis dans la presse magazine française (Les Inrocks), sur un grand site d'actualité américain américain (Yahoo News) et il n'est pas impossible que d'autres journalistes utilisent cet angle d'attaque intéressant pour décrire le prochain épisode de l'épopée trumpienne. Les articles sont plutôt bons, sans erreur factuelle notable. Néanmoins, si je n'ai pas réellement d'avis très éclairé sur la politique américaine en particulier, il me semble, compte tenu de ce que je connais du catch, que ce parallèle est pour le moins hasardeux car riche de raccourcis et d'omissions qui me dérangent beaucoup.
Avant de pouvoir émettre ce genre d'opinion d'une manière définitive, il va falloir expliquer, prendre des exemples, argumenter sur les passerelles que le catch peut établir avec la politique afin de suivre un raisonnement qui va un peu loin que le titre un peu accrocheur d'un article. Commençons d'abord par nous poser la question qui fâche et qui n'est jamais posée : « Peut-on être (ou avoir été) catcheur et faire plutôt bien de la politique ? ».
Pour simplifier le propos, la rédaction des Cahiers du Catch a décidé de passer sous silence les courants royalistes pourtant fort souvent représentés à l'écran.
Il peut arriver, trop fréquemment hélas, que quelques catcheurs à la carrière en perte de vitesse jouent les gros bras/forts en gueule pour quelques potentats locaux, mais bon, aux CDC la rubrique people basée sur la vie de Marc Mercier, ce n'est pas vraiment notre sujet, ça ne l'a même jamais été. On parle de vraie politique, de gens qui émettent des idées et/ou exercent des responsabilités.
Aux Etats-Unis, on dénombre deux personnes qui, différemment, ont réussi dans ce domaine. Le premier, c'est Glen Jacobs, toujours en activité, que les fans de catch connaissent sous le nom de Kane et qui est l'un des piliers idéologiques du courant politique libertarien. Ce courant politique est marqué extrêmement à droite en termes économiques et se caractérise en général par une certaine souplesse sur les questions de société au motif que toute forme d'interdiction émise par l'Etat constitue une forme d'oppression. La doctrine est contestable, mais ce n'est pas le propos ici; elle est souvent utilisée comme un faux-nez par des ultra-réactionnaires dans tous les domaines mais la démarche de celui qu'on appelle le Big Red Monster n'est pas de cet ordre-là vu la qualité des écrits qu'il produit et le crédit qu'on lui accorde dans ces milieux.
La doctrine libertarienne libérant l'Amérique de l'oppression cosmopolite. Allégorie.
Pour ceux qui l'ignoreraient voici donc Kane, en tenue de travail…
Le deuxième exemple qui vient à l'esprit est celui de Jessie « The Body » Ventura qui fut, tour à tour catcheur puis commentateur de catch avec quelques incursions à Hollywood dans les années 1980 – sur des gros films d'action comme Running Man ou Predator – avant de devenir, en 1991, maire de Brooklyn Park, Minnesota puis à partir de 1998, gouverneur de l'Etat du Minnesota sans pour autant bénéficier du soutien d'un des deux principaux partis américains.
Son élection, suite à une campagne assez tapageuse et sensationnaliste, tout comme l'est le personnage lui-même, a abouti à une victoire surprise et à un mandat où Ventura, comme tous les politiques ne se déclarant ni de droite ni de gauche a tenu une ligne plutôt de droite, mais a néanmoins eu l'occasion de prendre ses distances à plusieurs reprises par rapport à certaines positions ultra-conservatrices de George W. Bush qui était à la Maison Blanche à l'époque.
Son bilan en tant que gouverneur n'est pas catastrophique même s'il n'a pas souhaité poursuivre cette carrière. Il est retourné dans le monde de l'entertainment où il a animé des émissions de télévision, notamment sur les théories du complot. Ce sujet très controversé, la tendance américaine aux documentaires sensationnalistes, la faculté propre aux catcheurs à toujours endosser le costume du mec convaincu de ce qu'il dit, font qu'on a en général tendance en France à juger le bilan politique de Ventura beaucoup plus à droite qu'il ne le fut réellement à l'échelle politique américaine.
Qui ne voterait pas pour le frère d'Edwy Plenel ?
La campagne de Jesse Ventura est un modèle avoué et revendiqué par les équipes de Trump lors de ces primaires républicaines qui utilisent eux aussi l'axe de narration du « candidat extérieur qui bouscule le jeu habituel ». Néanmoins, rien n'assure que les programmes politiques soient les mêmes.
Dans la même veine que Jesse Ventura, mais au chapitre échec retentissant, il convient de noter que Jerry Lawler, autre catcheur de renom de la même génération, n'a pas réussi à devenir maire de Memphis, Tennessee, en 2009. Le personnage de Lawler est pourtant extrêmement similaire à celui de Ventura : passage par le ring puis par la table des commentateurs, détour par le cinéma — chez Milos Forman dans Man On the Moon, où il joue son propre rôle. De plus, son implication locale est bien plus forte: le type se fait quand même surnommer « The King » à Memphis, la ville d'Elvis, sans que cela ne pose problème ni ne paraisse illégitime. A sa décharge, il a rencontré quelques petits soucis personnels : un fils, catcheur lui aussi, aux talents surtout « stupéfiants », une passion réelle pour les femmes nettement plus jeunes que lui et un procès a priori injuste pour détournement d'une mineure de 14 ans.
Excusez la tenue, ma femme a vomi son biberon sur mon T Shirt.
Pour terminer cet inventaire exhaustif des expériences politiques dans le catch, il faut aborder le cas de Linda McMahon, épouse de Vince McMahon et donc du patron de la WWE, la fameuse fédération dans les rings de laquelle Donald Trump aurait soi-disant tout appris. Elle a échoué deux fois de suite en tant que candidate républicaine à un siège sénatorial dans le Connecticut et ce, malgré la puissance financière de sa société, son implantation locale historique et son rôle économique important dans l’État.
Voilà donc pour le chapitre « catch et politique » aux Etats-Unis. Dans une autre place forte du catch, le Mexique, on remarquera que lucha libre et politique sont totalement étrangers.
Excusez le sourire crispé, j'ai financé les deux campagnes électorales de ma femme.
Mais au Japon, c'est une autre paire de manches. Antonio Inoki, légende vivante du catch japonais, et Onita Atsushi ont tous deux réussi à siéger à la Diète, le Parlement japonais. Murakawa Masanori a, pour sa part, réussi à décrocher un mandat au parlement régional de sa province grâce à sa carrière sous le masque de Great Sasuke. C'est même le seul exemple connu actuel de catcheur masqué autorisé à siéger dans un parlement avec son masque.
On a beau faire, le Japon aura toujours un siècle d'avance sur le reste de l'humanité.
Terminons par l'exemple ultime de la réussite d'un catcheur en politique. Il s'agit de Hase Hiroshi, dont les accomplissements en matière de catch sont plus que respectables : formé au Canada par le légendaire Stu Hart, nommé « meilleur catcheur technique » en 1993 par le très prestigieux Wrestling Observer, détenteur du prix du meilleur match de l'année 1991 pour un match par équipes contre les très rugueux Steiner Brothers, il coule une retraite tranquille et paisible en étant l'actuel Ministre de l'Education, de la Culture, des Sports, des Sciences et des Technologies du Japon. Et sa nomination n'est pas a priori un coup médiatique du premier ministre Shinjo Abe puis qu'il occupait déjà auparavant de hautes fonctions au ministère après un mandat à la Diète et que son ministère est d'autant plus stratégique que sa feuille de route comporte l'échéance des Jeux olympiques de Tokyo en 2020.
Depuis qu'il a appris qu'on pouvait être ex-catcheur et ministre, John Cena a décidé de mener campagne pour devenir président du FMI.
Continuons en observant la « carrière » de Donald Trump à la WWE. Pour ceux qui ignoreraient ce qu'est la WWE et à quel point cette entreprise est un géant du divertissement à l'américaine, je ne saurais que trop vous conseiller de vous reporter à ce qu'en dit Boris Helleu, universitaire spécialisé dans le Management du Sport, dans son blog en général et dans cet article en particulier où il signale le classement Forbes des plus grandes marques sportives. Wrestlemania, le plus gros show de l'année pour la WWE, qui occupera ce dimanche sept heures d'antenne non-stop, est un événement sportif extrêmement important économiquement. Forbes le classe aujourd'hui dans le top 5 des événements sportifs les plus lucratifs du monde : juste derrière le Superbowl, les Jeux olympiques d'été et d'hiver, et la Coupe du monde de football. Tu remarqueras en plus, cher lecteur, vu que tu es très futé, que dans ce top 5, il y a une tripotée d'évènements qui n'ont lieu que tous les quatre ans alors que la WWE organise un Wrestlemania par an et qu'elle assure la promotion d'autres événements, notamment Summerslam, pendant six mois par an.
Oui au cumul des mandats.
Oui au cumul des mandales.
Cela dit, Wrestlemania n'a pas toujours été un moment aussi incontournable. Il y a un quart de siècle, la marque était moins bien établie. C'est à cette occasion que Vince McMahon et Donald Trump ont passé une sorte de deal où l'un accueillait l'événement dans sa ville-casino d'Atlantic City tandis que l'autre assurait la promotion de ce qui se voulait le Las Vegas de la côte Est à la télévision (Wrestlemania IV et V). L'échange de bons procédés entre milliardaires ayant tous deux hérité de l'empire de papa était gagnant-gagnant mais, franchement, je ne pense vraiment pas que Trump ait pu tirer un quelconque enseignement pour sa future carrière politique de quelques places au premier rang d'un événement sportif pas si important que ça en 1989 ou 1990. En revanche, cela lui a sans doute permis de construire une amitié avec un milliardaire aussi mégalomane que lui, Vincent Kennedy McMahon, le patron de la WWE.
Il faudra attendre janvier 2007 pour revoir Donald Trump dans un ring de la WWE. Enfin, le revoir, c'est vite dit… En janvier, soucieuse de rebondir sur la polémique médiatique d'alors entre Rosie O'Donnell, une célébrité télévisuelle, et le milliardaire à moumoute, la fédération décide de mettre en scène un combat de sosies. Le résultat est affligeant à tous points de vue : le match est mauvais et la caricature d'un goût plus que douteux (le catcheur censé imiter Trump termine le match en écrasant la face de son adversaire ventripotente sur un gateau en forme de baleine).
Le sosie de Trump était encore moins ressemblant que ça.
La séquence dure un quart d'heure dans une ambiance sonore indiquant clairement la désapprobation de la foule. Interviewé rétrospectivement (Colt Cabana AOW Podcast numéro 16), le catcheur figurant qui interprétait Trump ce soir-là dira que la consigne lui avait été donnée de ne pas s'inquiéter de la qualité du combat et des réactions négatives du public : les résultats calamiteux en termes de spectacle étaient anticipés. La manœuvre cherchait donc à remplir d'autres objectifs que celui de l'audience. Le but était, d'une part, de tourner une pastille d'actualité télévisuelle pour en tirer, peut-être, des retombées au niveau de la presse. D'autre part, de reprendre le contact avec Donald Trump pour éventuellement organiser une apparition télévisuelle du magnat.
La stratégie peut paraître étrange mais organiser un mauvais match de catch avec un faux Trump plutôt que de passer un coup de téléphone est une technique d'autant plus maligne qu'elle conditionne déjà le public. Si Trump apparaît et ne catche pas, même s'il n'est pas extrêmement populaire, il sera toujours mieux reçu que ce mauvais match avec un mauvais sosie et donc l'impression qu'il donnera à l'antenne sera celle d'être une grande star, de celles, populaires, mais pas bégueules, qui se mêlent aux superstars du catch. La stratégie fonctionnera à merveille puisque quelques mois plus tard, Wrestlemania 23 verra se dérouler la "Battle of the Billionaires" opposant Vince McMahon, patron de la compagnie à l'écran comme à la ville, à Donald Trump.
L'enjeu est alors double : scénaristiquement, c'est le contrôle de la compagnie à l'écran ; personnellement, le perdant devra se faire raser la tête conformément à une formule fort populaire dans le catch mexicain, celle du Hair Match.
Afin de garantir un intérêt sportif et spectaculaire au match, les deux protagonistes s'affronteront par lutteurs interposés et le match sera arbitré par un arbitre spécial, Stone Cold Steve Austin, l'un des catcheurs retraités les plus légendaires de la fédération. Dans le camp des méchants, Vince McMahon joue son personnage habituel de patron tyrannique, et est représenté par Umaga, le bulldozer samoan, relecture catchesque et moderne du mythe du sauvage rousseauiste. On notera au passage le caractère raciste sur les bords et au milieu du personnage de ce dernier. Dans le camp des gentils, une montagne de muscles, Bobby Lashley, athlète de couleur — c'est suffisamment rare de voir des gentils noirs à la WWE à ce niveau pour être souligné —, qui se bat pour Trump.
Umaga, le buldozer samoan avec un sosie d'Hillary Clinton (lors d'un autre angle scénaristique).
Alors entendons-nous bien pour raconter un peu le déroulé de cet arc narratif qui durera en tout deux mois : si Trump est le gentil de cette histoire, c'est par défaut. Il n'est pas particulièrement présenté comme sympathique. Et il ne gagne le soutien du public que parce que son antagoniste est particuliérement détestable. S'il est associé à un catcheur « gentil », celui-ci n'est pas le plus populaire, loin s'en faut. Le match de Wrestlemania en lui-même est plutôt court (13 minutes) et la séquence, comprenant les entrées des catcheurs et l'épilogue de l'affrontement avec la coupe de cheveux au milieu du ring, ne doit pas excéder 25 minutes.
Les événements scénaristiques qui ont permis d'installer l'histoire lors des émissions télévisées (gratuites, contrairement à Wrestlemania) précédentes n'ont pas non plus duré très longtemps. Quelques séquences où Trump est en duplex et une séquence d'interaction verbale en direct dans un ring qui dure 25 minutes. De fin janvier à début avril 2007, Trump aura donc utilisé en tout au maximum une heure dix d'antenne télévisée pour cet événement. Une heure et dix minutes c'est finalement assez peu proportionnellement quand on sait que la WWE fournit à l'époque cinq heures de télévision par semaine sur trois chaînes distinctes.
La place de ce match lors de l'événement de catch le plus important de l'année est particulière. Ce n'est pas le lever de rideau, ni le clou du spectacle, ni l'autre attraction principale, mais le match dit de « Special Attraction » dédié à distraire tout en permettant de promouvoir le show via une publicité gratuite dans les médias. On trouvera dans le passé des sportifs de haut niveau dans ce même genre de combat (le footballeur américain William Perry, le sumo Akebono) et plus tard des célébrités comme Mickey Rourke (assurant là la promotion du Wrestler de Darren Aronofsky) ou une starlette de la téléréalité comme Snookie, depuis clonée en version française sous le nom de Nabila.
Il fut une période où la WWE adorait les sosies de personnalités politiques: ici, Barack Obama.
Trump a donc bénéficié d'une exposition, certes non négligeable, mais pas plus inhabituelle que ça ni même particulièrement importante. Pour services rendus, la WWE lui offrira en 2013 une place dans son Hall Of Fame, où il prononcera un discours sous les huées de la foule pour une petite dizaine de minutes. Il rejoindra ainsi un club fermé de célébrités honorées par la WWE comme Mister T., Mike Tyson, l'animateur du Juste Prix Drew Carey, ou Arnold Schwarzenneger (parce que la WWE a un tropisme républicain évident) et bientôt Snoop Dogg (parce que la WWE a une politique interne sur le dopage avec la marijuana plutot lâche).
Et si l'intronisation "du" Donald peut être discutable, il n'est certainement pas la personnalité la plus détestable de ce club au sein duquel la WWE a été récemment contrainte à effectuer un certain ménage afin de rayer de la liste des catcheurs honorés un meurtrier présumé (Jimmy Superfly Snuka) et un raciste notoire pris sur le vif de propos inacceptables lors de l'enregistrement de sa sextape (Hulk Hogan en personne). Et s'il fallait rayer de ce palmarès tous les gros cons racistes bas du front de la trempe de Donald Trump, la WWE aurait un panthéon à moitié vide.
Le vrai Trump avec deux sosies l'une de l'autre.
Après ce constat chiffré de la participation de Trump aux produits de la WWE et une analyse rapide du tropisme républicain de cette fédération, posons enfin la question : Trump a-t-il appris quelque chose dans un ring ?
En termes d'interaction physique, non. C'est une évidence. Sa contribution se limite à un très mauvais coup de la corde à linge.
En termes d'art oratoire, pour en discuter, il va falloir d'abord bien comprendre ce que l'exercice représente, pour un catcheur. En catch, en général, on fait sien le bon vieil adage cornélien « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». Il est donc extrêmement rare de voir un catcheur dévaloriser totalement son adversaire. Personne n'a envie de voir une force de la nature herculéenne écraser un avorton. On évite donc de dire que l'adversaire est mauvais: on dira plutôt qu'il est redoutable mais qu'on est meilleur que lui. On n'antagonise donc jamais en rabaissant totalement l'adversaire, on préfère opposer sa ruse ou son endurance à un adversaire à qui on concède qu'il est plus costaud. Il peut y avoir quelques exceptions ici ou là mais elles concernent ceux qui recherchent l'hostilité du public, ceux qui peuvent se permettre de triompher sans gloire, en trichant par exemple.
Dans un ring de la WWE, en termed oratoired, il est une règle d'or imposée à tous : toute forme de discours long doit se construire tout comme un match est lui-même architecturé. Cela implique, en termes de contenu, de faire appel à une palette d'émotions différentes du public. On ménage ainsi des temps forts et des temps faibles jusqu'à un climax où l'on martèle le message final, l'argument massue.
Moi, mon argument massue est une montagne de muscles.
En termes de rythme, il est aussi nécessaire de fonctionner en trois temps dans son rapport avec le public. Vince McMahon l'explique à ses auteurs en décomposant les phases d'interaction avec le public : action, réaction, puis respiration. La troisième étape étant essentiellement destinée à ce que tout le monde dans la salle comprenne bien de quoi il retourne (via une répétition, une digression) et même éventuellement commente avec son voisin ce qui vient d'être dit, reprenne un slogan s'il lui plait.
Ce timing très particulier, plus ou moins aisément détectable selon la virtuosité du catcheur au micro, se comprend plus facilement si on le compare à un temps fort d'un match :
– Un catcheur fait un mouvement spectaculaire : Action.
– Le public manifeste son étonnement : Réaction.
– Le mouvement a cloué les deux catcheurs au sol et ils ont besoin d'un temps de récupération qui permet de diffuser ce qui vient de se produire au ralenti sur les écrans géants et le téléviseur du spectateur : Respiration.
Ce sont ces trois éléments clés qui font le bon catcheur moderne depuis que la WWE reconnaît officiellement que le catch n'est qu'un spectacle et que rien de ce qui se passe dans ses rings n'est vrai. Ce sont ces techniques oratoires que le boss de la société enseigne encore aujourd'hui avant les shows aux catcheurs lors de cours particuliers nommés « promo class ».
Ryback jamais assister promo class. C'est l'heure du manger. Alors Ryback parler mal dans micro.
Et je ne pense pas que les performances rhétoriques de Trump ne se plient ne serait-ce qu'à deux de ces critères sur les trois. Il antagonise toujours au maximum sans jamais valoriser son contradicteur, ne suscite que peu d'émotions variées dans son public en se limitant au registre habituellement utilisé par tous les orateurs de droite extrême et, comme tous ceux-ci, ne ménage surtout pas de temps de respiration qui pourraient permettre à son public de réfléchir aux failles du raisonnement qu'il lui expose.
L'apport du catch au phénomène Trump apparaît donc comme mineur : moins de deux heures d'émission au total depuis sa première apparition à l'antenne en 1988. Et aucune prise de parti publique de la compagnie à son endroit depuis le début de la course aux primaires. Ce n'est d'ailleurs pas étonnant : la WWE est fondamentalement républicaine mais c'est un empire financier tel qu'actuelllement, comme tous les tycoons de l'entertainment américain, toute prise de position politique lui serait dommageable au niveau boursier.
Si certains des thèmes trumpiens ont été évoqués à l'antenne, notamment celui du mur avec le Mexique, ceux-ci l'ont été il y a presque dix ans dans un contexte particulier où le personnage qui prononçait ces propos était clairement défini comme le salaud de l'arc narratif.
Le salaud en question, légende de la lutte (professionnelle), ici avec deux légendes de la lutte (des classes).
En gros, reprocher à Trump d'avoir bénéficié d'une quelconque expérience dans le catch, c'est un peu comme reprocher à Raël d'être devenu gourou et expert en manipulation mentale au prétexte qu'un jour, quand il était enfant, un prestidigitateur l'avait invité à monter sur scène pour choisir une carte parmi cinquante-deux.
Bon, alors là, cher lecteur, fan de catch, ou novice en la matière appâté par le jeu de mot spirituel du titre de l'article que Google t'a gentiment fourni, tu vas me poser une question : Pourquoi, donc, Trump a-t-il eu l'opportunité de « revenir » à la WWE en 2007 ?
Trump est revenu au catch parce que c'était une star de la télé-réalité.
The Apprentice, tu connais ? Récemment, M6 a essayé de te fourguer la version française de ce magnifique produit. Co-produit par Trump et le mastodonte de l'entertainment qu'est Fremantle Media, lui-même filiale d'un géant des médias. Un programme avec en vedette Donald Trump, 11 saisons de téléréalité avec des épisodes où les candidats font des pieds et des mains pour au final gagner un boulot chez Donald Trump. 11 saisons d'affilée avec des shows d'une heure au début puis deux heures vu le succès.
Ce jeune retraité fut pendant des années le collègue de Donald Trump (et il n'était pas le seul).
Je te laisse, cher lecteur, le soin de comparer l'effet de The Apprentice aux deux heures au total que Trump a dû passer à la WWE depuis 1989.
Évidemment, il y a une passerelle entre le catch, spectacle télévisuel épisodique et scénarisé, et la télé-réalité mais l'un a totalement abandonné la prétention d'être réel depuis le Montreal Screwjob (1997) tandis que l'autre ne doit sa survie qu'à l'illusion même qu'il est réalité, que ce soit sous sa forme de concours de cuisine, de chant ou de tricot, demain peut-être.
Évidemment, il y a une passerelle entre le catch et l'atmosphère médiatique ambiante où le storytelling politique se confronte chaque jour à l'oeil critique et moqueur de l'info-tainment. Là aussi, on a quelque chose qui est clairement scénarisé par une équipe de spin-doctors, conçu pour être épisodique afin de monopoliser l'agenda médiatique et traité par certains acteurs de la presse comme si tout cela n'était qu'un gigantesque spectacle et pas la réalité.
Par souci d'exhaustivité, je rajoute cet homme (Bob Backlund) aux anciens catcheurs américains ayant voulu faire de la politique. Son échec fut si retentissant qu'il était inutile de le mentionner dans le texte.
Mais le théâtre et la caricature de la réalité demeurent le coeur de métier assumé du catch. Au contraire de la télé-réalité et de l'info-tainment qui prétendent décrire la réalité ou l'altèrent en prétendant la décrire. Critiquer l'ascension de Trump dans le monde politique à la lumière de son intégration au sport entertainment est une très bonne idée mais le faire sans réfléchir aux causes réelles de son ascension, notamment au rôle d'un groupe de presse et de médias qui sera peut-être demain l'employeur de celui qui rédige le papier, c'est un peu court.
Demain, on rase gratis!