L’un des nôtres

Je ne suis pas un animal. Je suis un être humain !

John Merrick, Elephant Man

 

Le 13 novembre, à l’expiration de son contrat, le Great Khali a quitté la WWE. Son destin nous en apprend un peu sur la WWE et beaucoup sur nous-mêmes.

 

 

Merci et bwa-vo pour tout.

 

 

Retour sur la carrière du Great Khali

 

Je ne suis pas un animal. Je suis un être humain !

John Merrick, Elephant Man

 

Le 13 novembre, à l’expiration de son contrat, le Great Khali a quitté la WWE. Son destin nous en apprend un peu sur la WWE et beaucoup sur nous-mêmes.

 

 

Merci et bwa-vo pour tout.

 

 

Retour sur la carrière du Great Khali

 

 

Dalip Singh Rana n’est pas un homme comme les autres. C’est un monstre. Mais sait-on seulement ce qu’est un monstre ? L’étymologie fournit une première réponse : le terme vient du latin « monstranum », c’est-à-dire « montrer ». Le monstre est destiné à être montré, c’est même ce qui le définit. Montré, contre espèces sonnantes et trébuchantes, aux gens normaux, afin de susciter leur répulsion, leur terreur, leur pitié… Montré, sans artifice, tel que la nature l’a fait, différent. Les forains itinérants de tous temps ont senti la fascination qu’exerçaient sur le public ces personnages hors du commun, et n’ont pas hésité à exposer géants et nains, siamois et microcéphales, obèses et femmes à barbe — autant de pauvres hères souvent rejetés par leur famille et pour qui une vie d’attraction ambulante était probablement la meilleure des solutions, tant leur physique à part leur interdisait de rêver à une existence banale.

 

En 1932, le cinéaste Todd Browning sort un chef d’œuvre qui a magnifiquement résisté aux décennies, Freaks (en français, La Monstrueuse Parade) qui dépeint de façon poignante le quotidien d’un de ces cirques nomades et de ses protagonistes à l’aspect extraordinaire. Le propos — que l’on retrouve en 1980 chez David Lynch dans Elephant Man, consacré à la triste biographie de John Merrick, un homme atteint de neurofibromatose (évitez la recherche sur Google images si vous avez le cœur sensible) exposé au public londonien à la fin du XIXème siècle — est limpide : les vrais monstres ne sont pas ces malheureux à l’apparence effrayante, mais ces masses « normales » venues les contempler avec dégoût et les rejetant hors de l’humanité.

 

 

Tiens, on reconnaît le grand-père McMahon sur la photo.

 

 

Ce thème du monstre physique, relativement anecdotique dans la grande littérature, rejoint ainsi celui, bien plus souvent abordé, du rejet de la différence par la plèbe. Swift déjà écrivait qu’on reconnaît à ceci un homme brillant que la foule des imbéciles se ligue contre lui. Le romantisme s’est largement construit sur la description des émois d’êtres trop subtils pour leur époque et mis au ban de celle-ci — et le plus conséquent des poètes romantiques, Lautréamont, a d’ailleurs bouclé la boucle en reliant, notamment dans les Chants de Maldoror, la solitude du poète à celle du monstre. Toute la littérature néogothique peut d’ailleurs être comprise dans cette veine-là : le monstre est créé par le regard des « gens normaux ». Dès lors, une fonction lui est attribuée, à son corps défendant. À moins, par extraordinaire, d’être doté de quelque talent inouï comme Stephen Hawking ou Michel Petrucciani, il ne sortira jamais de cette ornière. À la différence des membres des minorités — qui peuvent se battre pour la reconnaissance ou la tolérance, ou au pire fuir pour rejoindre une contrée où ils seront mieux lotis, voire parmi leurs semblables —, le monstre physique sera partout perçu comme un être radicalement autre. Partout, sauf peut-être dans le fourgon de Freaks. Là, les monstres sont entre eux, et règne donc une sorte d’apaisement (sauf quand ils scandent "One of us", formule qui a fait florès et qui me semble bien coller au propos du présent billet). Au moins jusqu’à ce que commence la représentation suivante.

 

 

« Ne jugez pas, et vous ne serez point jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez point condamnés. » (Matthieu, 7 :1)

 

 

Mais qu’est-ce qui ressemble plus à un Freak show dans le monde actuel que le roster de la WWE ? Certes, les femmes à barbe en ont été bannies (même si Conchita Wurst ne déparerait pas parmi les guest hosts) ; mais les géants et les nains y ont leur place attitrée. Que l’on y ajoute une paie très correcte, des conditions de vie globalement acceptables (certes, il faut régulièrement faire mine de se battre sous les « oh » et les « ah » d’un public ébahi, mais on obtient ses 10 000 calories par jour et on dort dans des vrais lits) et même, parfois, un statut de héros des enfants qu’on aurait été bien en peine d’obtenir autrement, et l’on comprendra qu’une telle carrière est enviable pour tout freak physique.

 

Dalip Singh Rana est un monstre. Pas le monstre le plus effrayant qui soit, certes, mais tout de même. Une taille de 2m21, ça peut encore être vivable si ça ne s’accompagne pas de divers troubles hormonaux comme l’acromégalie — une maladie dont notre homme est atteint et qui se manifeste, entre autres, par une augmentation effarante de la taille de la mâchoire. Mais quand vous êtes atteint de gigantisme et d’acromégalie et que vous venez au monde en 1972 dans une famille pauvre du Nord de l’Inde qui a six autres enfants en plus de vous, vous êtes plutôt mal barré. Eût-on dit aux parents de Dalip quand ils comprirent qu’ils avaient enfanté un monstre que leur rejeton serait à quarante ans millionnaire, célèbre dans le monde entier et accessoirement citoyen des Etats-Unis… ben ils l’auraient sans doute cru vu que la famille, de ce que l’on sait, est très croyante, et chez ces gens-là, Monsieur, on ne pense pas, non Monsieur, on fait confiance au karma.

 

 

– Bon Dalip, normalement ça va chier pour toi dans cette vie, mais vu comment tu vas en baver, tu devrais te réincarner en star de Bollywood.

Oh, je vais pas attendre d’être mort pour ça.

– Ne blasphème pas, monstre !

 

 

Les sources sur la jeunesse de notre héros sont peu nombreuses. Elles font état, ici et là, d’un emploi en tant que briseur de pierres dans la construction routière qui colle bien à son physique de titan mythologique, et aussi d’un passage dans la police, plus curieux (on ne le voit guère courser des truands, pas plus qu’on ne l’imagine assis derrière un bureau à remplir de la paperasse ; mais bon, Shaquille O’Neal, est bien policier de réserve à Miami…). Heureusement, une bonne fée, ou plus probablement l’un de ces imprésarios de monstres qui ont pullulé tout au long de l’Histoire de l’humanité, renifle le potentiel et le pousse à faire du bodybuilding. A la clé, il y a en 1997 un titre de « Mister India » et, surtout, un départ pour le pays où tout est plus grand (bagnoles, sièges des chiottes, plâtrées de frites…) avec un but clair, le catch. Alors je n’ai rien trouvé sur le mécanisme qui a amené notre avenant colosse à la All Pro Wrestling, une fédé indépendante de Californie, mais on va imaginer que les passerelles entre bodybuilding, fût-ce en Inde, et catch existent depuis des lustres, et qu’un gabarit tel que celui de Giant Singh (son premier nom de scène) ne passe pas inaperçu…

 

 

Qu’est-ce que l’avenir me réserve-t-il ? J’ignore de le savoir.

 

 

Si dans la banlieue de San Francisco Singh découvre les rudiments de l’ignoble art, il n’attire pas encore l’intérêt d’une WWF en pleine Attitude Era. Peut-être faut-il l’expliquer par un terrible accident d’entraînement survenu à la APW début 2001 : Khali porte un Flapjack à un catcheur du nom de Brian Ong, qui retombe mal et décède quelques jours plus tard. La famille du défunt portera plainte contre l’APW qui sera condamnée à verser aux Ong 1,3 million de dollars pour négligence, et même si Singh est mis hors de cause, sa réputation sera entachée : un promoteur a-t-il vraiment envie de faire venir chez lui un colosse de 2m20 qui vient de buter un collègue à l’entraînement ?

 

 

Hmm, à la réflexion, ça pourrait servir…

 

 

C’est dans l’autre pays du castagnage que Giant Singh découvrira ce qu’est une grande fédération, puisqu’en 2000 il signe à la New Japan Pro Wrestling d’Antonio Inoki. Évidemment, c’est sa taille qui est mise en avant, la NJPW décidant de créer la plus grande (en centimètres) équipe de tous les temps : il est associé à un autre monstre, le Brésilien Giant Silva (2m17 sous la toise et jadis membre de la seule stable de freaks ayant sévit à la WWE : les Oddities). Le duo terrorise l’adversité avant, forcément, de voler en éclats.

 

 

Monsters Inc.

 

 

En 2002, Silva bat Singh, qui est mis de côté, mais l’expérience a porté ses fruits. Il a combattu à l’immense Tokyo Dome, il a appris le métier, et il est temps de rentrer aux USA, où il tourne en 2005 dans The Longest Yard, une comédie avec Adam Sandler mais surtout Kevin Nash, Steve Austin et Goldberg. La WWE est dès lors une voie toute trouvée. Il y signe en janvier 2006 et après trois mois à la Deep South Wrestling (la fédé de développement du moment) fait à Smackdown un début remarqué en tant que MONSTER heel, bien sûr.

 

Daivari, qui rêve depuis des années d’abattre l’Undertaker, a échoué avec ses protégés Muhammad Hassan et Mark Henry ; il lance donc dans l’arène son nouveau client, et c’est peu dire que les débuts sont réussis. Le Great Khali (c’est lui qui a proposé ce nom, celui de la déesse indienne de la guerre, dotée de quatre bras, là aussi une forme de monstruosité), filmé en « André Shot » (c’est-à-dire en contre-plongée pour apparaître encore plus imposant) interrompt sans se presser un match opposant le Taker à Mark Henry et détruit le Dead Man. Quelques semaines plus tard, il répétera l’exploit lors de son premier ppv, Judgment Day, où un coup de pied à la tête suffit à lui obtenir une rarissime victoire clean sur le croque-mort, qu’il se permet de pinner en lui posant le pied sur la poitrine. La WWE, prise dans une boucle temporelle, nous rejouait la rivalité Taker/Giant Gonzales avec Daivari en Harvey Wippleman et Khali en Gonzales.

 

 

Khali en déMONSTRation.

 

 

Sur le plan physique, à la différence d’un Kevin Nash ou d’un Big Show, Khali paie un lourd tribut à sa taille exorbitante. Ses déplacements sont lents, sa coordination incertaine, sa capacité à monter sur le turnbuckle inexistante (alors que le Big Show, par exemple, se permet de temps à autre des descentes du coude venues de la troisième corde). En outre, son anglais laisse beaucoup à désirer. Consciente de ses limites, la WWE se garde bien de trop lui en demander. Conformément à l’image la plus antique du Goliath indestructible, Khali se contente d’attraper ses adversaires et de les étendre pour le compte d’une main, ajoutant pour faire bonne figure à son arsenal une sorte de Powerbomb à bout de bras et une prise de soumission assez spectaculaire, qui le voit écraser entre ses énormes paluches le crâne de ses infortunés assaillants. Il n’est pas là pour impressionner les amateurs de catch technique, c’est une litote. C’est un monstre pur et dur, un Giant Gonzales en plus mastoc et sans fausse fourrure, qui incarne à la perfection le heel aux dimensions inhumaines.

 

 

Bwa. (Traduction: Cool, t’as la tête plate.)

 

 

Mais les problèmes physiques qui l’ont escorté toute sa vie vont rapidement se manifester. Alors qu’il a défié le Taker à un « Punjabi Prison Match », il nécessite une intervention médicale sur son foie, dont on imagine qu’il a bien du boulot, le pauvre organe. Le match se tient quand même, et c’est le Big Show qui prend sa place (sans succès). Le Punjabi Prison Match, parlons-en. Khali, aux yeux du spectateur ricain tel que se le représente la WWE, est doublement monstrueux. Par son corps, bien sûr, mais aussi par son origine lointaine.

 

 

C’était ça ou une vache.

 

 

Les origines de Khali, au tout début de son run, étaient plutôt obscures pour nos amis américains qui l'assimilaient volontiers à un Perse ou à un Pakistanais (bref un muslim). Vers l’Orient compliqué, les fans US volaient avec des idées simples… Comme tout MONSTER heel étranger, sa provenance joue un rôle clé dans son gimmick. Seulement, si l’on se figure bien la menace venant de Russie (Koloff, Volkoff, Kozlov, Rusev dernièrement), voire du Japon (Yokozuna), des sauvages îles du Pacifique (Umaga) ou des sombres forêts d’Afrique (Kamala), l’Inde, à l’aura pacifiste, n’inspire guère la terreur, a priori. Mais en cherchant bien, l’Inde, c’est la jungle de Kipling, c’est la nature féroce, c’est les tigres… allez, emballez c’est pesé : Khali, surnommé Punjabi Nightmare (il ne vient pas du Pundjab, mais « Himachal Pradesh » c’est plus dur à prononcer), aura un tigre sur son Titantron et sa stipulation favorite sera l’énigmatique « Punjabi Prison Match », où le ring est entouré d’une cage en bambou, bois résistant et vendu par les commentateurs comme aussi dur que le métal des cages habituelles.

 

 

En tout cas c’est pratique pour faire un Puissance 4.

 

 

Mais un MONSTER heel qui zappe son propre gimmick match (même s’il vient faire le mariole aux abords de la cage pour distraire le Taker), ça donne à réfléchir. Et si finalement la santé chancelante du titan était trop indécise pour qu’on puisse miser sur lui ? Le push semble s’éteindre aussi vite qu’il a démarré. Khali devait affronter le Taker dans un Last Man Standing à Summerslam : le match aura finalement lieu lors du go-home Smackdown ( !) et se conclura par une défaite sans discussion de l’Indien. C’est le problème avec les monstres : une fois le premier choc passé, on s’en lasse…

 

Vince n’est toutefois pas encore prêt à couler définitivement le vaisseau Khali. Il est drafté à l’ECW, le C-Show, en compagnie de Daivari, à qui il sert de bodyguard pendant quelques semaines. Un rôle basique, qui le met à l’abri de vrais matchs, tant et si bien que début janvier 2007, ses débuts contrastés sont oubliés et on lui recolle une fusée au cul : sans Daivari cette fois, il revient à Raw, et entre rapidement en collision avec Kane, qu’il affrontera et vaincra à Mania XXIII (ce sera son unique match un contre un à Mania, il peut donc s’enorgueillir d’un taux de réussite de 100% en individuel à Mania, c’est mieux que le Taker !). Bombardé dans la foulée, par la grâce d’une victoire sur Shawn Michaels, First Contender au titre WWE détenu par Cena, il subit à Judgment Day une défaite indiscutable des mains du Marine, par soumission, à l’issue de ce qui restera comme son tout meilleur match à la WWE.

 

 

– Bwa. (Traduction: Je parie qu'ensemble on peut faire un match trois étoiles, voire trois étoiles un quart.)

Oh putain. Un balai qui parle !

 

 

Vince, se dit-on alors, n’est quand même pas fou au point de mettre un titre de champion du monde sur un tel épouvantail. On a tort.

 

En juin, Khali est drafté à Smackdown, sa troisième brand en un an de présence. Une vraie patate chaude. Cette fois, il est accompagné de son traducteur attitré, Ranjin Singh, booker dans la vraie vie. Smackdown, c’est le lieu où est alors défendue la ceinture poids lourds. Quand le duo indien débarque, elle se trouve sur Edge, qui doit la laisser vacante du fait d’une blessure. C’est Khali qui sera sur ce coup-là l’opportuniste ultime : une bataille royale est organisée pour le titre lors du Smackdown du 20 juillet. Khali balance Kane et Batista dehors pour finir la besogne et s’emparer du titre. Qu’il empoigne fièrement et le lève au-dessus de sa tête… le tenant à l’envers. L’image sera, aux yeux de la grande majorité des fans, une illustration éclatante de son run de champion, voire de son run à la WWE tout court.

 

 

Khali! Idiot! Tu tiens le titre à l'envers!

– Bwa? (Traduction: Hein?)

– Et encore c’est rien ça ! Vous verriez comment il a accroché les tableaux chez moi ce grand con !

 

 

Le géant sera champion deux mois, le temps de défendre une fois son titre (dans un Triple Threat contre Batista et Kane au Bash) avant que l’évidence s’impose : la WWE n’avait jamais eu un champion aussi nul dans le ring, il est temps de passer à autre chose. Il perd son bien dans un nouveau Triple Threat, à Unforgiven, face à Mysterio et à Batista, qui se vêt de la ceinture et, comble de malheur, gagne le rematch lors d’un Punjabi Prison Match à No Mercy.

 

 

C’est pas juste aussi, c’est beaucoup plus facile pour un highflyer comme Batista.

 

 

Le statut de main eventer n’est toutefois pas encore perdu, puisqu’en 2008 encore, on retrouve notre béhémoth rien moins que dans un WWE Title Match à Summerslam, contre Triple H. Nouvelle défaite indiscutable et cette fois, le main event s’évapore pour de bon. Les mauvaises langues (qui en l’occurrence constituent une majorité écrasante des suiveurs) diront que la plaisanterie n’avait que trop duré. Khali, pourtant, n’est pas viré. Le type est tout de même le seul représentant à la WWE d’un pays de plus d’un milliard d’habitants, qui représente un marché alléchant. Chez lui, il est bien connu, notamment par la grâce de sa participation à quelques films de Bollywood, dans un rôle de gentil protecteur des enfants. Pis : la légende raconte que la WWE lors du montage de ses émissions pour le public indien, effaçait toute trace de geste « heel » pour Khali afin de ne pas choquer ce marché émergent.Il n’a plus guère de crédibilité en tant que monster heel, alors pourquoi ne pas en faire un comedy face, sort fréquemment réservé aux big men passés de mode (que l’on songe, ces dernières années, aux carrières de Kozlov, Tensaï ou Clay) ?

 

 

– Bwa ! (Traduction: Agad', me suis déguisé en toi dans Fée malgré lui!)

Ben tu vois, t’es déjà plus drôle que Cena.

 

 

Le voilà bombardé Punjabi Playboy. Le pantalon est désormais rouge et non plus noir, la musique joyeuse et non plus menaçante, le tigre disparaît du Titantron, Ranjin Singh dansouille au lieu de faire de sombres grimaces… Pendant un temps, la Khali Kiss Cam, séquence indescriptible où le monstre sélectionne quelque nana dans le public pour lui rouler un palot, fait le bonheur de Smackdown. Il y a deux façons d’interpréter cette évolution. On peut y voir une réinsertion du monstre dans le monde des humains, car le voici présenté comme un homme aux simples appétits masculins, voire comme un sex symbol, donc un personnage enviable ; on peut aussi considérer que la monstruosité de Khali y est mise en lumière d’une façon particulièrement perverse, dans une réécriture de « la Belle et la Bête » destinée à choquer le public par le décalage entre l’aspect inhumain de l’Indien et le gabarit normal de ses partenaires de smack, le spectacle impliquant l’existence d’une sexualité que l’on devine effarante…

 

 

Aujourd’hui, à la WWE : la zoophilie !

 

 

Heel ou face, main eventer ou jobber (rôle auquel les années qui passent le condamnent, malgré quelques éphémères rappels de sa puissance intacte), Khali reste pour la WWE un phénomène de foire. La seule différence, c’est qu’il passe du groupe des monstres effrayants à celui des monstres hilarants, ou voulus comme tels. D’où son association récurrente avec l’autre extrémité centimétrique de la WWE, Hornswoggle, lui aussi au départ heel flippant, puis sympathique erreur de la nature.

 

 

La monstrueuse Disney Parade.

 

 

On ne plaindra pas Khali : étant donné les chances que la vie lui a données au départ, il aura eu une existence largement au-dessus de ce qu’il pouvait espérer. Peut-être même aura-t-il su, en imposant sur la durée son physique hors normes, dans le catch mais aussi dans plusieurs films inoubliables (McGruber, le Marsupilami…) contribuer à sa façon au mantra « don’t be a bully » de la WWE, puisqu’à force de le voir on s’est habitué à l’existence d’un type aussi divergent de la norme. On regrettera cependant que jamais la chance ne lui a été donnée de faire vivre, par exemple, un personnage un peu plus proche de ce qu’il est en réalité : un Hindou croyant, paisible père de famille, qui aurait pu ouvrir les yeux des spectateurs sur certains aspects de ce pays ciblé par les McMahon. Une occasion a été manquée lors de sa feud avec Jinder Mahal, axée sur une histoire foireuse (et rapidement zappée) d’achat par Jinder de la sœur de Khali pour l’épouser. Mais il était écrit que Khali, qui n’a jamais eu l’occasion de prononcer ne serait-ce que deux mots à la suite en anglais depuis son arrivée à la WWE, devait être cantonné au rôle de monstre forcément à moitié débile. On montre le monstre, mais pourquoi l’écouter ?

 

 

Bwa. (traduction : Dans mes prières matinales, je médite sur le Seigneur Shiva, l'époux de Shakti. Celui qui a un croissant de Lune pour parer Son front. Celui qui est vêtu d'une peau de tigre. Celui dont l'œil de feu réduisit Kamâ en cendres. Celui qui est vénéré par Vishnu, Indra et tous les autres êtres célestes auxquels Il accorde ses immenses bénédictions. Au Seigneur dont les serpents sont les ornements, dont le trident et le tambour sont les armes, à Celui qui détruisit le démon Tripurâ, à Ce Parashiva, je présente toutes mes salutations. Puisse-t-il me bénir.)

 

 

Incarnation absolue du phénomène de foire à l’ancienne, catcheur plus que médiocre récompensé pour son inanité en ring par trois deuxièmes places consécutives à notre Ceinture de Plomb avant de finalement décrocher la timbale en 2013, Khali aura été, au fond, un anachronisme, un John Merrick moderne exhibé par son montreur, le roublard baratineur McMahon, à une foule avide d’anormalité. Le catch ne connaîtra probablement plus jamais un idéal-type aussi pur du monstre — muet, stupide, difforme, docilement soumis à un cornac qui en fait ce qu’il veut… En tant que fans, nous ne regretterons nullement son départ, ne jouons pas les hypocrites. Mais il serait dommage de ne pas tirer de son destin ambigu quelque profonde réflexion, du type de celles qu’on se fait en voyant la créature de Frankenstein s’enfuir en hurlant sur la banquise hostile : sans nous pour le regarder en retenant notre souffle, en blêmissant ou en pouffant, le monstre ne serait-il pas qu’un homme comme les autres ?

 

 

Bizarrement, la version indienne de « Trouvez Charlie » est nettement plus facile que la nôtre.

 

 

(Un grand merci à Toghril Majdar pour ses précieux commentaires !)

 

 

PS : vous pouvez visionner les images exclusives du départ de Khali en cliquant ici.

 


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