La Légende des Yes

Un poème est un mystère dont le lecteur doit chercher la clé.
Stéphane Mallarmé
 
Les Cahiers du Catch, c’est avant tout des gros mots, des calembours approximatifs et des blagues de cul. Mais ne vous y trompez pas : cet humour potache n’est rien d’autre qu’une forme de pudeur. Car voyez-vous, rien ne transporte plus l’âme de nos rédacteurs que la grande littérature. Du coup, ce gros naze prétentieux d’Henri Death s’est demandé ce que ça aurait donné si quelques poètes et dramaturges de renom avaient parlé du dernier Wrestlemania…
  
 
Le voilà donc ce nez qui des traits de son maître
A détruit l'harmonie ! Il en rougit, le traître !
(Edmond Rostand)
 
 
Wrestlemania XXX mis en vers
 

Un poème est un mystère dont le lecteur doit chercher la clé.
Stéphane Mallarmé
 
Les Cahiers du Catch, c’est avant tout des gros mots, des calembours approximatifs et des blagues de cul. Mais ne vous y trompez pas : cet humour potache n’est rien d’autre qu’une forme de pudeur. Car voyez-vous, rien ne transporte plus l’âme de nos rédacteurs que la grande littérature. Du coup, ce gros naze prétentieux d’Henri Death s’est demandé ce que ça aurait donné si quelques poètes et dramaturges de renom avaient parlé du dernier Wrestlemania…
  
 
Le voilà donc ce nez qui des traits de son maître
A détruit l'harmonie ! Il en rougit, le traître !
(Edmond Rostand)
 
 
Wrestlemania XXX mis en vers
 

 
Invocation à la Muse
(d’après Homère)
 
  
Muse, raconte-nous ce glorieux PPV
Qui vit le ch’tit barbu remporter deux ceintures,
Après avoir, depuis Summerslam, enduré
Des douleurs en grand nombre et d'abjectes souillures…
  
 
…après que sa valeur, par le Fer et la Flamme,
Eut brisé les remparts de l'antique Hunter.
Et narre-nous aussi comment l'Undertaker
A vu Brock Lesnar écrire son épigramme.
 
 
Dis-nous enfin comment les bookers ont pushé
De jeunes guerriers au futur prometteur,
De vaillants petits gars qui ignorent la peur.
Et comment tous les vieux ont été humiliés.
  
 
Mais oui, mes coquinous, je vais vous raconter,
Moi la Muse Renee, qui vit sur le Parnasse,
Tout ce Wrestlemania, qui déchirait sa race !
Asseyez-vous en rond ; veillez à m’écouter.
 
 
Poème sur le désastre de la division par équipes
(d’après Voltaire)
 
 
  Ô sinistres équipes ! Spectacle déplorable !
Ô de tout le roster assemblage effroyable !
D’inutiles catcheurs mauvais comme des chiens
Ennuient les spectateurs qui crient « ce n’est pas bien » !
Accourez, contemplez ces ruines affreuses,
Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses,
Ces femmes, ces enfants, qui, sur leur canapé,
Manquent de s’endormir, par Ryback ennuyés.
  
 
Ces deux infortunés vêtus en matadors
Affligés d’un taureau plus ridicule encore
Enterrés en low-card, terminent sans secours
Dans l’horreur des tourments leurs lamentables jours !
 
 
Il existait pourtant une équipe attrayante
Au milieu du marasme et des cendres fumantes
De cette division dont le chemin de croix
Pour notre désespoir, durait depuis des mois.
  
 
Mais des bookers l’équipe a été la victime
Quand Cesaro punit Swagger de tous ses crimes.
Zeb Colter a pleuré en voyant son enfant
Dans un des coins du ring, écrasé et sanglant.
Cesaro s’en alla, le regard fier et suisse,
Son visage arborant d’un sourire l’esquisse.
 
 
Et les champions tag team, conservant leurs ceintures,
S’en allaient désormais vers d’autres aventures,
De leur division contemplant le naufrage,
Le poing victorieux et le corps en tatouages.
 
 
Le vieux Vieillard
(d’après Charles Baudelaire)
 
 
Soudain vint un vieillard dont les lunettes jaunes
Imitaient la couleur de son boa miteux,
Et dont l’aspect aurait fait pleuvoir les aumônes,
Sans l’immense respect qui luisait dans les yeux
 
Du public. On eût dit son écharpe trempée
Dans la moutarde ; son regard était bien las,
Sa moustache à longs poils, roide comme une épée,
Rendait très ridicule tous ses falbalas.
 
 
Il n’était pas que vieux, mais cassé, son échine
Faisant avec sa jambe un parfait angle droit,
Et ses muscles bombés, parachevant sa mine,
Lui donnaient la tournure et le pas maladroit
 
D'un vieux Ric Flair infirme, d’un canard à trois pattes.
Dessous le Titantron il allait s'empêtrant,
Comme s'il écrasait des morts sous ses savates,
Mais nimbé du prestige des grands vétérans.
 
 
L’Âme de la Bière
(d’après Charles Baudelaire)
 
 
L’âme de la bière chantait dans les cannettes :
“Austin, vers toi je pousse, ô catcheur adoré,
Sous ma prison d’alu joliment rondelette
Un chant plein de lumière et de fraternité !
 
 
Je sais combien il faut, dans les arènes en flamme
De peine, de sueur et d’anabolisants
Pour supporter les coups blessant le corps et l’âme ;
Et je serai pour toi le seul désaltérant.
  
 
Car j’éprouve une joie immense quand je tombe
Dans ton gosier, mon Steve, usé par tes travaux,
Et ta chaude poitrine est une douce tombe
Où je me plais bien mieux que dans le froid frigo.
 
Entends-tu s’extasier le public ce dimanche
Et l’espoir qui gazouille en mon sein palpitant ?
Les deux majeurs levés et retroussant tes manches,
Tu me boiras d’un trait et tu seras content.
 
 
J’allumerai les yeux des spectateurs ravis
À tes joues je rendrai leur force et leurs couleurs
Et je serai pour toi, athlète de la vie,
L’huile qui raffermit les muscles des lutteurs.
 
Sur toi je tomberai, végétale ambroisie,
Houblon précieux jeté par l’éternel Semeur,
Pour que de notre amour naisse la poésie
Qui jaillira vers Vince comme une rare fleur !
 
 
Déclin
(d’après Tristan Corbière)
  
 
Comme il était bien, lui, ce catcheur plein de sève !
Apre au combat, oh yeah !… et la main comme un glaive.
Comme il levait son poing ou le lançait gaîment !
Il gagnait des ceintures qu’il mettait lentement.
 
Maintenant il n’est rien et n’aime que la thune
Il ne peut, sur un ring, plus cacher ses lacunes.
Le public l’aime par habitude ; il sait
Pourtant bien que le Rock n’est plus ce qu’il était.
 
 
Son coeur a pris du ventre et dit bonjour en prose.
Il est coté fort cher… seulement sur l’écran !
Ce n’est plus sur le ring qu’il nous botte le cul…
 
Dans sa gloire qu’il porte en paletot funèbre,
Vous le reconnaîtrez fini, banal, célèbre…
Vous le reconnaîtrez, ce triste individu.
 
 
Le Cidaniel Bryan
(d’après Pierre Corneille)
  
 
Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie !
N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?
Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers 
Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ?
Mon bras qu'avec respect tout le roster admire, 
Mon bras, qui tant de fois a sauvé cet empire, 
Tant de fois affermi le trône de son roi,
Trahit donc ma querelle, et ne fait rien pour moi ?
Ô cruel souvenir de ma gloire passée !
Oeuvre de tant de jours en un jour effacée !
Nouvelle indignité fatale à mon bonheur !
Précipice élevé d'où tombe mon honneur !
 
 
Faut-il enfin voir triompher Daniel Bryan ?
Et par lui se faire déstructurer la couenne ?
Daniel a eu le beurre et puis l’argent du beurre ;
Ce haut rang n’admet point un homme sans honneur.
 
 
Admis au Main Event par cet affront insigne,
Il lui faudra du titre encor se rendre digne.
Orton et Batista seront les instruments
De ma froide vengeance, j’en fais le serment !
 
 
Les Ennemis
(d’après Charles Baudelaire)
 
  
Ma vieillesse ne fut qu’un risible naufrage
Traversé çà et là par un peu de sommeil.
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage
Qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.
 
  
Me voici affublé de ces deux retraités,
Croyez-moi, mes amis, ce n’est pas un cadeau.
Pourrai-je compter sur leurs corps ankylosés 
Pour match gagner ? Ça ne sera pas du gâteau.
 
 
Ma carrière passée, à laquelle je rêve,
Trouvera-t-elle ici sa nourrissante sève ?
Où est le momentum qui faisait ma vigueur ?
  
 
Ô douleur ! Ô douleur ! Le temps mange la vie,
Et le vigoureux Shield a rongé notre coeur
Retournons à l’hospice, le corps endolori.
 
 
Soir de Bataille royale
 
 
Le choc avait été rude. Les low-carders
Et les mid-carders, passés par-dessus les cordes,
Humaient encor, dans l’air où vibrait la discorde,
La chaleur du carnage et le sang des cogneurs.
 
 
D’un oeil morne, comptant les éliminations
Les catcheurs regardaient, comme des feuilles mortes,
Voler au-dessus d’eux une sombre cohorte :
Les slips et les coudières formaient un tourbillon.
  
 
C’est alors qu’apparut un Suisse à l’air revêche,
Rouge du flux vermeil de ses blessures fraîches, 
Sous l’éclairage altier des spotlights rutilants,
  
 
Au fracas de la cloche sonnant sa victoire,
Superbe, maîtrisant le Big Show qui s’effare
Sur le ciel enflammé, un Cesaro vaillant.
 
 
Le Marine et le Cinglé
(d’après Jean de la Fontaine)
 
 
La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l'allons montrer tout à l'heure.
Un Marine se pavanait
Montrant fièrement son coeur pur.
  
 
Un Cinglé survint à jeun qui cherchait aventure
Et que la lumière en ces lieux attirait.
  
 
Qui te rend si hardi de tester mon courage ?
Dit John Cena plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
  
 
– Sire, répond le Cinglé, que votre Sainteté
Se mette fort en colère !
Et qu’elle considère
Que son pseudo-courage agaçant
Et que sa bravoure sont bien chiants.
Je les jetterai dans la poubelle
Et par conséquent, de toutes les façons,
Qu’il ne me prenne pas pour un con.
  
 
– Tu m’emmerdes, reprit le faux rebelle,
Et je sais que de moi tu médis au Raw passé.
– Je ne l’aurais pas fait si vous ne l’aviez cherché,
Reprit le Cinglé, et vous ferai mordre la poussière.
– Rentre au bayou, toi et tes frères !
– Je n’en ai point. – Alors ces grands nigauds sont tes chiens ?
Je ne t’épargnerai guère,
Toi et tes deux barbus, le brun et le rouquin !
C’est décidé : il faut que je me venge.
  
 
Là-dessus, le prenant par la raie,
Le Marine l’emporte et le mange,
Sans autre forme de procès.
 
 
El Destreakado
(d’après Gérard de Nerval)
  
 
Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé,
Le Prince des catcheurs à la Streak abolie :
Ma seule étoile est morte et mon corps décharné
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.
  
 
Dans la nuit du Tombeau, Lesnar a remporté
La Victoire sur moi et, du public honni,
Il me toisait de haut, ses bras étaient levés.
Moi, j’étais inconscient ; la foule : abasourdie.
 
 
Suis-je bien dans le coup, ou juste un vieux barbon ?
Mon cul est rouge encor des coups pris dans l'Arène ;
Je retourne au Vestiaire et mon âme est en peine…
  
 
J'ai vingt-et-une fois traversé l’Achéron :
Mais, le cœur plein d'orgueil, je n'ai su m'arrêter,
Et la vingt-deuxième il a fallu m'incliner.
 
 
J’ai pour fantasme…
(d’après Pierre de Ronsard)
  
 
J’ai pour fantasme une étrange Gorgone,
Qui dépasse les Divas en beauté,
C’est un vrai Vince en dure cruauté,
En poids elle pèse environ deux tonnes.
  
 
Quand on l’entend, mille fois on s’étonne
De sa voix aiguë dont la fermeté
À chaque “excuse me” fait s’indigner
Le public qui déteste la matronne.
  
 
De la nature aucun coeur ne reçut
Certains la traitent de vieille morue
Mais moi, quand je la vois, je veux la prendre
 
 
Dans mes bras et presser contre son sein
Mon coeur qui par elle fut réduit en cendres.
Si elle le veut, marions-nous demain.
 
 
Le Récit de Jerry Lawler
(d’après Jean Racine)
 
 
À peine avions-nous vu la rixe des divas
Que Randy arriva. Le public affligé
Hurlait sa défiance, autour de lui rangé.
Il s’apprêtait, pensif, à livrer son combat.
 
 
Puis Batista s’en vint, qu’on voyait autrefois
Plein d’une ardeur si noble entrer sous les vivas.
L’oeil morne maintenant et le muscle atrophié
Semblaient se conformer à sa triste pensée.
 
 
Un effroyable riff, sorti de la sono
Des airs en ce moment a troublé le repos ;
Et du sein de la salle, une voix formidable
Répondit en hurlant à ce riff redoutable.
 
 
Le coeur de tout le monde s’est accéléré,
Des spectateurs transis le poil s’est hérissé.
Cependant sous l’écran apparut l’Intrépide !
Les hommes étaient émus, les femmes étaient humides.
 
 
L’onde approche, se brise, et libère à nos yeux,
Parmi les “yes !” hardis, un monstre furieux
Le visage éclairé d’une lueur effrayante,
Ses muscles sont tendus, sa prunelle est ardente,
Indomptable taureau, dragon impétueux,
Son front s’est recourbé en replis tortueux.
Ses “yes !” répétés font trembler tout le rivage.
Les autres avec horreur voient ce monstre sauvage.
 
 
La terre s’en émeut, tout est enthousiasmé,
Le riff qui l’apporta recule épouvanté.
Orton et Batista, pétrifiés, immobiles,
Veulent fuir sans s’armer d’un courage inutile.
 
 
Daniel Bryan est là, et en digne héros
Déjà prêt à se battre, il ôte son maillot.
Il attaque et d’un coup lancé d’une main sûre,
Il fait aux adversaires une large blessure.
 
 
De rage et de douleur, Batista bondissant
Vient tout près des poteaux tomber en rugissant,
Se roule et se montre la gueule enfarinée
Faible comme un enfant dont on vole les jouets.
 
 
La frayeur les emporte, et sourds à cette voix,
Ils ne connaissent plus le courage et la foi.
En efforts impuissants leurs prises se consument
Ils rougissent le ring d’une sanglante écume.
 
 
On dit qu’on a vu même, en ce désordre affreux,
Triple H les toiser d’un regard dédaigneux.
Entre les cordes ici la peur les précipite.
Leur corps crie et se rompt, cette soirée maudite
Voit voler en éclats leurs espoirs fracassés
Dans le ring honni ils tombent embarrassés.
 
 
Excusez leur douleur : cette image cruelle
Sera pour eux de pleurs une source éternelle.
Ils ont vu de leurs yeux la force destructrice
D’un Bryan enragé creuser des cicatrices
Sur leur chair sanglante, meurtrie et ravagée
Ils courent ; tout leur corps n’est bientôt qu’une plaie.
 
 
De leurs cris douloureux la salle retentit
Leur fougue impétueuse semble être tarie ;
Ils ne peuvent lutter contre l’être héroïque
Ils ne seront bientôt que de froides reliques.
 
 
Bryan court en souriant, bientôt la messe est dite :
Il tente le tombé, des flots de sang s’agitent,
Les cordes en sont teintes, le ring dégoûtant.
D’Orton et Batista le ring est tout sanglant.
 
 
L’arbitre arrive, il court, et en tapant la main,
Pour la troisième fois il provoque soudain
Une explosion de joie : dans la foule un grand cri
Est monté des gradins, grandiose et infini.
 
 
Il est enfin champion ! Bryan est couronné !
Hunter doit regretter de l’avoir accusé,
De n’être qu’un B+, et toutes les archives
Se souviendront de lui, la figure plaintive
Contemplant, impuissant, le héros triompher
Et laissant sur le ring les corps défigurés,
D’Orton et Batista, bottés par le derrière,
Et que méconnaîtrait même l’oeil de leur père.

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