L’éWWEngile selon Saint André

Les nombreux miracles qui illustrèrent son modeste tombeau lui attirèrent bientôt la vénération des fidèles du pays qui lui élevèrent un monument plus somptueux.

Abbé Pétin, Dictionnaire hagiographique, ou Vie des Saints et bienheureux,

 

C'est rigolo, quand même… Ici, mine de rien, on est dans une sorte de temple de la culture catchesque aux Cahiers du Catch. Et on a toujours partagé notre vénération des apollons aux corps huilés en slip de plein de manières différentes. En textes, parfois trop gentils, parfois très fielleux, en listes, en classements, en chiffres, on vous fait même parfois des nalyses en images, en alexandrins, en page Facebook et bientôt en palindromes. En gros, on a déjà utilisé la grande majorité des approches possibles. Mais, jamais, encore, on vous a fait le coup du grand discours théologique.

 

 

Aujourd'hui : La vie des saints (mais en slip).

 

 

L'éWWEngile, Livre Premier : Selon Saint André

 

Les nombreux miracles qui illustrèrent son modeste tombeau lui attirèrent bientôt la vénération des fidèles du pays qui lui élevèrent un monument plus somptueux.

Abbé Pétin, Dictionnaire hagiographique, ou Vie des Saints et bienheureux,

 

C'est rigolo, quand même… Ici, mine de rien, on est dans une sorte de temple de la culture catchesque aux Cahiers du Catch. Et on a toujours partagé notre vénération des apollons aux corps huilés en slip de plein de manières différentes. En textes, parfois trop gentils, parfois très fielleux, en listes, en classements, en chiffres, on vous fait même parfois des nalyses en images, en alexandrins, en page Facebook et bientôt en palindromes. En gros, on a déjà utilisé la grande majorité des approches possibles. Mais, jamais, encore, on vous a fait le coup du grand discours théologique.

 

 

Aujourd'hui : La vie des saints (mais en slip).

 

 

L'éWWEngile, Livre Premier : Selon Saint André

 

Et honnêtement, c'est une énigme parce que le rapport à la divinité est pas du tout un truc absent dans les rings, surtout à la WWE. Hulk Hogan n'oubliait jamais de nous dire de faire nos prières ; Vince McMahon s'est engagé dans un match tag-team contre Shawn Michaels et Dieu avec comme équipier son propre fils – Si cette affirmation vous heurte alors que vous croyez en Dieu, imaginez la tête de ceux qui croient en Freud et lisent ça ! – . Et la notion de culte est aussi souvent abordée avec la Straight Edge Society de CM Punk ou la famille Wyatt. Et parmi les groupes intronisés dans le panthéon de la WWE qu'est son Hall Of Fame, se trouvent les Four Horsemen, qui font explicitement référence aux quatres cavaliers de l'Apocalypse. Il est donc temps de rattraper cette omission et de vous présenter la vie des saints à la sauce de la WWE.

 

 

Demain : La vie des seins (mais avec des tatouages)

 

 

Le catéchisme de Saint André

 

Le personnage d'André, dans notre culture populaire de fans de catch, c'est à la fois le saint patron des Big Men et aussi, chauvinisme oblige, celui des français. On se doute bien que c'est un très personnage important de la mythologie catchesque, ne serait-ce que parce que la WWE a réalisé une battle royale en son honneur à Wrestlemania XXX mais aussi parce qu'il a eut l'honneur posthume d'être le membre fondateur du Hall Of Fame de la compagnie. Cependant, on a malgré tout beaucoup de mal à saisir à quel point il fut un des hommes marquants du business ni pourquoi il le fut réellement. Et, en étudiant André, on peut comprendre les vérités que révèle sa présence tout en haut de cet imaginaire collectif construit par le catch.

 

 

Premier commandement : Funky, toujours, tu seras.

 

 

La première grande particularité d'André par rapport à tous ses condisciples, c'est l'impossibilité qu'il y a de le détacher du Hall Of Fame de la WWE, qui a été créé pour lui et dans l'urgence au lendemain de sa mort. Parfois délaissé dans sa jeunesse, le Hall Of Fame est maintenant une véritable institution et sa cérémonie est retransmise à la télévision, comme un show à part entière. Il y a, tous les ans, une Saint André dans le calendrier de la WWE qui donne lieu à un show à part entière et, mine de rien, c'est un privilège immense que personne ne partage véritablement avec lui — à part peut-être JBL dont le nom est toujours associé au Tribute To The Troops.

 

Il n'y a ni Mr Royal Rumble, ni même de Mr Wrestlemania (puisque ce titre peut être légitimement partagé entre Shawn Michaels dont ce fut le gimmick, Hulk Hogan qui a durablement marqué ce show de son empreinte en main-event et aussi l'Undertaker dont la carrière fut en partie basée par son invincibilité à Mania). André a réussi à laisser cette trace dans le calendrier, en plus d'un visage toujours présent dans les vignettes d'ouverture des shows. Et comme si ce n'était déjà pas assez, il a fallu que Vince McMahon lui dédie en plus une Battle Royale lors d'un Wrestlemania historique (autant par son millésime, le trentième, que par son contenu avec la fin de la streak de l'Undertaker).

 

 

Deuxième commandement : Tu ne feras point d'idole.

 

 

 

La relique de Saint-André

 

C'est en analysant en détails la relique qu'André a laissée, c'est-à-dire le Hall Of Fame lui-même, qu'on va véritablement comprendre pourquoi le géant est une figure si importante du culte. Pour faire vite et assez schématique (et je laisse les amoureux de détails se reporter à l'excellent article d'Axl sur le Hall Of Fame), il n'y que deux sortes de catcheurs au WWE HOF : ceux qui, par leur talent, ont changé la face du Wrestling Business et ceux qui ont, certes, beaucoup moins compté dans l'histoire du catch mais, permis par leurs actions en coulisse, de construire l'empire du divertissement qu'est devenu la WWE. D'un côté, les grands acteurs du business (Hulk Hogan, l'Ultimate Warrior, Shawn Michaels, Jerry Lawler, Dusty Rhodes, Jim Ross, etc …) et de l'autre les employés fidèles qui reçoivent là une sorte de médaille du travail qui récompense leurs actions en coulisse.

 

Dans la liste des seconds, on peut évidemment inclure quelques uns des plus célèbres jobbeurs (Koko B Ware, en est un bon exemple) mais aussi la grande majorité des « Celebrity Inductees » (Bob Uecker, guest announcer occasionnel, est ainsi dans le Hall Of fame pour célébrer la longue association entre Vince McMahon et le producteur de télévision Dick Ebersol). On peut ajouter à cette liste quelques catcheurs sans grande envergure mais qui ont fait carrière backstage (Le chief Jay Strongbow qui fut l'un des premiers Road Agents en est un bon exemple).

 

Mais la meilleure illustration de ces super-employés du mois demeure quand même James Dudley. Selon les saintes écritures de la WWE, ce catcheur, sans grande importance pour l'histoire du catch, a gagné sa place car il fut le premier manageur afro-américain à gérer une grande salle sportive à Washington. En réalité, c'était surtout l'employé préféré de Vince McMahon Sr. Il était un company man si dévoué qu'il fut le chauffeur et le garde du corps du père de l'actuel possesseur de la WWE et le couple qu'ils formaient tous deux fait, inconsciemment, penser à l'association entre Ted DiBiase et Virgil.

 

 

Nan, pas celui-là de Ted DiBiase. L'Autre. Le vrai.
 

 

La première dichotomie qu'on peut donc établir dans le panthéon de la WWE est assez simple : d'un côté ceux qui ont beaucoup fait pour la cause du catch (et il faut reconnaître que la liste est beaucoup trop courte pour beaucoup d'entre nous) et de l'autre ceux qui ont beaucoup fait pour la cause de l'Empire McMahon.

 

Et la seconde grande distinction qu'on peut réaliser facilement dans la liste des divinités McMahonniennes est celle entre les anciens et les modernes. Pour filer la métaphore religieuse, il y a les prophètes de l'Ancien Testament et ceux du Nouveau Testament. Les seconds sont les talents contemporains de Vince Junior et sont ceux que l'on connaît le plus, par habitude, par la propagande de la WWE et en cultivant un peu notre mémoire. Et les premiers sont les contemporains de Vince Senior (même s'ils sont parfois ses concurrents comme Verne Gagne) bien moins connus car moins accessibles par manque d'archives.

 

Dans ce qui ressemble au nouveau Testament, André est la pierre fondatrice de l'Empire de Vince McMahon Junior, le monster heel que Hulk Hogan, le porte-drapeau de la compagnie terrassera à WrestleMania 3 dans un Main-Event au Pontiac Silverdome. Plus le méchant de l'histoire est méchant, plus le héros sera grandi de son triomphe. Et André, dans cette histoire, avec son physique colossal et sa réputation d'invincibilité, est l'homme de la situation, le dernier marche pied d'Hogan vers la gloire internationale et, au passage, la garantie financière pour Vince McMahon que Wrestlemania sera un succès commercial (ce qui n'était pas assuré après le succès du premier épisode et surtout pas après le deuxième aux bénéfices plus aléatoires). André a donc toute sa place au Hall Of Fame car, selon le Nouveau Testament, il est un grand du catch qui a joué un rôle de premier plan dans la construction d'une plus grande star.

 

 

Wrestlemania III pour le public.

 

 

Wrestlemania III pour le promoteur.

 

 

Mais c'est la place d'André dans l'Ancien Testament qui nous intéresse. La collaboration d'André et de Vince Senior date de 1973 et va s'avérer être une des associations les plus profitables du catch. André, catcheur encore mal dégrossi, va rencontrer son Pygmalion qui va changer son personnage juste ce qu'il faut pour en faire une star.

 

D'abord, le move-set : adapté au physique du colosse, sont proscrits tous les mouvements qui n'incarnent pas ce que la stature d'André renvoie comme image. Le Géant était capable de faire des drop-kicks mais il était hors de question qu'il les exécute. Une prise de l'ours, image classique de la puissance dans le ring, remplace toutes les manœuvres athlétiques (ce qui permet au passage d'économiser le physique du catcheur).

 

La défaite, aussi était proscrite, le booking d'André devait être à l'image de son personnage de géant, hors du commun. Donc personne ne devait, jamais, lui river les épaules au sol pour trois secondes, ni le faire abandonner sur prise de soumission. Les seules victoires qu'on lui arrachait ne pouvaient l'être que par décompte à l'extérieur ou disqualification (beaucoup plus fréquentes à cette époque où un coup avec le poing fermé ou un passage par dessus la troisième corde suffisait souvent pour générer cette décision).

 

 

Bon les enfants, vous avez noté ? Pour faire un catcheur, il faut donc :

 

 

Un gimmick et le physique qui va avec.

 

 

Un gimmick et le moveset qui va avec.

 

 

Un booking qui raconte le gimmick.

 

 

Cette conjonction d'un corps, d'un booking et d'un gimmick semble, aujourd'hui, intelligente pour un monster-heel. On pourrait cependant objecter sur la durée de vie d'un tel personnage. Mais ce qui la rendait proprement parfaite à l'époque était la multiplicité des promotions de catch et le peu d'images télévisées. Ainsi, André arrivait dans un territoire inconnu, détruisait tout sur son passage jusqu'à se hisser au niveau du champion local, l'affrontait dans un match particulièrement serré qu'il perdait suivant ses conditions puis quittait le territoire pour aller refaire le même numéro. Les fans de catch de Memphis, adulant Jerry Lawler voyaient ainsi leur champion triompher d'un obstacle insurmontable, ce qui renforcait son aura de King of Memphis mais ils ne pouvaient se se douter, faute d'informations et d'images, qu'il avait déjà fait le même numéro il y a quelques mois au Texas, chez les Funk ou que son planning le conduirait les mois suivants chez la famille Jarrett ou au Canada chez les Hart pour faire la même chose.

 

Le gimmick, avait donc une durée de vie aussi grande que l'était la concurrence de Vince Senior qui, bien évidemment, touchait une commission à chaque engagement d'André et utilisait même le géant comme une monnaie d'échange. S'il avait besoin de débaucher quelques superstars liées à un territoire particulier sur la scène du Madison Square Garden de New-York, un coup de téléphone, et la promesse de quelques shows d'André de plus, lui permettait de négocier avec ses confrères et concurrents promoteurs sans que personne ne soit lésé dans ses revenus.

 

 

J'ai fait gagner des fortunes à Vince Senior sans jamais foutre les pieds au MSG; Bigger than Bruno.

 

 

Pour résumer et expliquer André dans le montage financier de Vince Senior, c'était sa poule aux œufs d'or, le seul catcheur qui lui rapportait d'autant plus qu'il avait de concurrents. Le Géant était donc le rêve de tout business man qui n'est pas en situation de monopole – un monopole que Vince Jr n'a pas encore tout à fait atteint malgré plus de trente ans d'efforts -.

 

André fut donc le pivot et le fondateur du Hall Of Fame de la WWE pour ces deux raisons : dans le monde de Vince McMahon Jr, il était une star et dans celui de Vince Sr, il était un company man, mettant toujours sa gloire personnelle au second plan pour assurer le bien-être et les revenus de la WWWF, le tout en n'y apparaissant jamais ou presque. Homme dans la lumière, noire certes, dans le Nouveau Testament et homme de l'ombre dans l'Ancien Testament. Il est l'incarnation même du Hall Of Fame car son postérieur gargantuesque se loge dans tous les fauteuils à la fois.

 

 

La mythologie de Saint-André

Au-delà de sa simple biographie et de l'écume que celle-ci a laissé dans nos mémoire, le personnage d'André est intéressant. S'il a aussi bien marché dans le catch, ce n'est pas uniquement parce qu'un Vince Senior avait fait de lui une véritable machine à cash. Non, ce gimmick d'André qu'il a aidé à peaufiner pour qu'il soit conforme à la taille du personnage, notamment en modifiant le move-set et le booking, est un gimmick qui s'inscrit dans une très longue tradition de l'imaginaire.

 

Le géant fait partie des traditions populaires qui persistent au-delà des époques. C'est le Goliath de l'histoire biblique qui menace de détruire le pays de David, si celui-ci ne parvient pas à triompher de lui dans un combat mémorable. Et au-delà même de cet épopée narrée par les religions du livre, la figure du géant destructeur est présente dans de nombreuses mythologies. Il y a dans le panthéon grec, des géants et surtout l'homérique cyclope qui, en plus d'être borgne, est anthropophage contrairement à Goliath. Ce sont, entre autres, ces deux mythes qui s'imbriquent avec ceux de nombreuses autres cultures pour accoucher de la figure de l'ogre dans les contes de fée ou celle symbolique du géant du carnaval, idole de bois de taille immense destinée à bruler à la fin de la cérémonie.

 

Cette figure du géant est présente dans l'esprit des hommes depuis les temps ancestraux où l'on se racontait des légendes sans même savoir les écrire, ni même, sans doute, ce qu'écrire voulait dire.  Et elle se poursuit encore de nos jours où le festival du Burning-man, fondé en 1986, réutilise le géant de carnaval dans son rituel pagano-tribaliste.

 

 

 

 

Vous l'avez compris : le géant est un mythe quasi-universel et presque intemporel. Et celui-ci va essaimer avec de nombreuses variations dans la littérature et la culture populaire. En tant que français, nous affectionnons particulièrement la figure du gentil géant. S'il se nomme Pantagruel , il est ancien et écrit par le premier vrai auteur en langue française, Rabelais. S'il est présenté comme un normand colossal, alcoolique et herculéen, c'est en version moderne sous le nom d'Alexandre-Benoît Bérurier et sous la plume de San-Antonio. La culture anglaise, avec son élégance caractéristique, propose une version fort maligne du géant avec le personnage de Gulliver, le premier géant do-it-yourself puisque c'est un homme normal en vadrouille chez les lilliputiens. Mais la culture populaire américaine regorge aussi de ces folklores gigantesques avec le fameux bûcheron canadien qu'est Paul Bunyan, colosse plutôt jovial. Et dans sa version moderne, elle recrute pour les vendeurs de maïs avec le Géant Vert ou si l'on quitte le marketing pour aller vers la fiction, du côté de Shrek, ogre de fantaisie estampillé productions Pixar.

 

La descendance de Saint-André

 

 

Gentil géant. Méchant géant. Un gimmick qui peut se retourner comme un gant, autant dire que c'est un gimmick en or. Une formule éternelle du catch déjà complètement implémentée dans l'univers mental du public ; un truc dont on est absolument sur qu'il va rapporter quelque argent. Le business du catch va donc forcément mettre au point quelques techniques, pour rendre plus géant celui qui est déjà un géant.

 

C'est le célèbre André Shot, le plan de caméra en contre-plongée savamment calibré pour augmenter la perception du gigantisme par l'oeil du spectateur.

 

 

 

C'est cette petite fosse de quelques centimètres de profondeur placée à coté du ring et qui permet à celui qui interviewe le colosse de paraître encore plus petit.

 

 

 

Ce sont, éventuellement, dans des versions plus rudimentaires, le choix d'un arbitre rarement grand, le trucage des mensurations lors de la présentation par le ring announcer voire, si on ose le ridicule, l'idée d'affubler un grand maigre d'un costume musculeux pour le rendre plus costaud et donc plus terrifiant.

 

Giant Gonzales, enchanté ! Aucun lien de parenté avec Speedy.

 

 

« Giant is money » et Saint André n'est ni le premier d'une longue liste (les francophones apprécieront la présence des herculéens frères Baillargeon dans l'inventaire des illustres prédécesseurs), ni même le dernier de cette même liste.

 

Au cas où vous n'auriez pas compris, l'essentiel en catch, c'est autant l'illusion que la réalité. D'ailleurs sur cette photo, le Great Khali a l'air de savoir catcher.
 

 

 

Les disciples de Saint-André
 

Voilà pour la descendance directe de Saint André, mais il convient aussi de s'intéresser à quelques-uns de ses cousins éloignés qui lui sont reliés par d'autres éléments de la culture populaire américaine que j'ai pour le moment laissés de côté dans la mythologie d'André.

 

Le premier, c'est Big Foot, une sorte d'homme sauvage mi-géant mi-bête, version américanisée du Sasquach amérindien, lui-même assez cousin du Yéti himalayen. Et le costume du Giant Gonzales est bien évidemment une variation sur ce thème. Plus terrifiant encore que le géant, donc plus attractif et tout aussi lucratif, ce soir, dans notre ville, le géant mi-homme mi-bête, le chaînon manquant…

 

 

Aérographe + Fourrure synthétique = Fail.

 

 

Le gimmick est cependant un peu différent car il est beaucoup plus difficile à retourner comme un gant pour faire passer la bête sauvage en gentil monstre de conte de fée. Et il nécessite aussi un accessoire pour donner l'illusion que toute l'animalité de la bête ne se libère que dans le ring et soit un tout petit contenue en dehors des cordes. Cet accessoire, c'est le manager, enfin plus précisément, un type de manager dévolu à cette tâche, le handler. C'est un peu celui qui tient la laisse, qui contrôle la sauvagerie pure incarnée dans la bête. Cet artifice permet d'augmenter le caractère inhumain du personnage. Et s'incarne dans toute une génération de managers : on se souvient des débuts du Great Khali avec Shawn Daivari dans ce rôle puis de Dave Kappoor, mais aussi de l'appartenance d'un André heel à la Heenan Family.

 

Si j'insiste autant sur ce personnage du handler et m'attarde sur un gimmick certes similaire mais néanmoins un peu différent, c'est parce que la seconde racine majeure du gimmick du géant dans la culture populaire, c'est celle du freak show, du monstre forain qu'on expose en attraction spéciale à côté du cirque Barnun. Celle qui consiste à faire payer pour le chaland pour qu'il contemple l'homme le plus grand monde, à côté de l'Hercule de foire, de la femme à barbe et le sauvage d'un pays lointain. Et que tous ceux qu'on présente dans ce Freak show à côté du géant peuvent bénéficier du même traitement, via le même outil, le handler.

Et là, la liste des héritiers d'André va considérablement s'allonger d'un coup, mes biens chères sœurs, mes bien chers frères. Il y a, par exemple, le binôme entre un hercule de foire, l'homme le plus fort du monde, et un manager :

 

 


On pourrait pu faire la même remarque avec la paire Mark Henry / Tony Atlas.

 

On se souvient dans la catégorie des «sauvages» d'un Umaga :

 

Samoan Bulldozer, accompagné d'Armando Alejandro Estrada,

 

 

d'un maître Fuji avec Yokozuna, d'un Lord Tensaï managé par Sakamoto

 

 

d'un Jimmy Snuka managé par Captain Lou Albano, d'un Kamala dont les managers sont allés de Freddy Blassie à Kimchi et la liste n'est probablement que partielle ne serait que dans cette catégorie du sauvage, qui n'est que rarement le « bon sauvage » de Rousseau.

 

Kamala (sans son fidèle handler asiatique Kimchi) parce que, oui, on est à un cliché raciste près.
 

 

Evidemment, pour garantir la diversité du personnage et le renouvellement du gimmick, on introduit ici et là une ou deux petites variations. On peut, par exemple, non plus contrôler un géant ou un sauvage échappé de la jungle mais utiliser un combattant qui n'est pas tout à fait humain d'une autre manière. On peut user d'un lien surnaturel par exemple :

 

Oh… Yes ! Deux fois même…
 

 

Mais on peut aussi replonger dans la culture populaire et imaginer un scénario un peu plus complexe, à la King Kong, celui d'un monstre échappé du zoo et qui est, pour des raisons affectives, lié à une jolie femme. Avec un tel binôme, c'est le succès garanti car le contraste marche à plein: une frêle créature associée à un monstre ou une brute épaisse, c'est l'assurance absolue d'un contraste qui renforce l'animalité de celui qui est dans le ring.

 

 


Rusev ! Crush !

 

 

C'est, de plus, un moteur narratif qui peut être utile pour une storyline future : on a déjà une infinité d'angles narratifs qui se profilent, ce sera, par exemple, l'opportunité d'un angle narratif du type « Belle et la Bête » tel que celui qui lia Miss Elizabeth à Georges The Animal Steele. Néanmoins, on notera que cette association masculin/féminin est récente car dans l'Ancien Testament de Vince Senior, avant la vérité révélée du kayfabe, la « heat » était « legit » et le public réellement hostile aux méchants, il fallait donc soit des managers au physique imposant, anciens catcheurs, susceptibles de se défendre et donc d'éviter la tendance de la foule au lynchage. Et la canne de Mr Fuji n'était pas qu'un rappel au lien symbolique de la laisse du montreur d'ours mais aussi un instrument contondant de défense (ou d'attaque préventive) destiné à contenir la furie des marks.

 

Si, j'insiste sur les handlers féminins, c'est que ce point permet de bien comprendre l'un des ressorts de la paire catcheur/handler : le contraste. Aux temps anciens, donc quand la nécessité imposait un manager qui sache se défendre, on utilisait un artifice qui renforçait l'animalité (ou l'inhumanité – comme ça, on englobe l'Undertaker et Kane) de la créature, on la privait donc de parole et déléguait la tâche discursive au handler. La majeure partie de ces associations-là reposent donc sur une dissymétrie de parole qui n'est pas forcément liée au peu de talent au micro de la créature mais bel et bien à cette nécessité de renforcer le contraste (La créature est privée du langage, une caractéristique de l'espèce humaine). Et bien évidemment, plus on dispose d'un handler fort en gueule, plus touche le pactole.

 

 

D'ailleurs, à ce propos, je vous ai déjà  parlé de mon client, The Beast, Brock Lesnar, qui a détruit la série d'invincibilité de l'Undertaker ?

 

 

Mais, pour demeurer dans les faits récents, la feud entre Daniel Bryan, nouvellement champion unifié, et Kane, repose exactement sur le même artifice. Kane, anciennement volubile, a perdu sa langue tandis qu'il a retrouvé son masque et, comme cet objet lui redonne un caractère inhumain, il ne prononce presque plus un mot. Toute la partie parlée de la feud est réalisée par son handler, Stephanie McMahon qui, certes, nie avoir le contrôle du monstre à longueurs de discours mais est liée à lui par le rapport hiérarchique du travail, une forme de laisse sociale, donc …

 

 

La méditation de Saint André

 

La médiation de Saint André, mes biens chers disciples, réside comme souvent en catch dans l'ironie que pose la réalité sur la mise en scène. Car le plus grand handler de toute l'histoire du business, vous l'avez deviné, c'est Vince McMahon Senior et sa créature, c'était André.

 

La figure de Saint André, et son omniprésence dans le spectacle télévisé de la WWE, nous renvoie immédiatement à ce qui constitue la racine la plus profonde du catch : à savoir l'art forain, dans sa version la plus élaborée, le cirque, mais aussi dans sa version la plus rudimentaire : le freak show. Un peu comme si les monstres exposés dans des roulottes s'étaient échappés de celles pour investir la piste et régler leurs comptes sous le chapiteau. Et sur cette piste aux étoiles en forme de ring, on use de tous les artifices pour que les freaks soient encore plus caricaturaux qu'en réalité. On place la caméra de telle sorte que le géant soit plus grand. On prive de parole le monstre sauvage et ne le fait s'exprimer que par grognement. On ajoute un Monsieur Loyal qui hurle bien fort ses louanges.

 

 

Et on ajoute des clowns, aussi. C'est important les clowns.

 

 

Et le spectacle, par ce dispositif, devient à la fois fascinant et obscène. Fascinant car la méthode est aussi éprouvée qu'efficace, elle nous narre une épopée ancrée en nous depuis des millénaires, celle de David contre Goliath, celle d'un homme ordinaire qui devient roi en terrassant l'ogre. Mais le spectacle est obscène car la caricature est réalisée à gros traits et, parfois, cela ne peut empécher de mettre mal à l'aise. C'est l'éternel problème philosophique de l'exposition du monstre qui se profile à l'horizon. André n'était pas the Eighth Wonder Of The World, non, ce n'était qu'un homme, certes un peu différent des autres, et seul le discours de bateleur du promoteur nous le présentait comme un géant. Et c'est à notre propre regard sur l'altérité que cela nous renvoie.

 

Et oui, dans un ring de catch, on voit des corps. Des corps féminins, parfois trop sexualisés pour ne pas nous mettre mal à l'aise. On voit des caricatures aussi, avec un trait parfois si forcé qu'on se demande s'il n'en devient pas parfois raciste sur les bords ou même carrément au milieu. On voit des nains déguisés en leprechaun ou taureau. On voit des performeurs dont on se demande parfois s'ils n'ont pas là sacrifié leur dignité à l'entertainment des foules. Et, parfois, le malaise survient, inévitablement.

 

 

Planche I : Le malaise, illustration en petit format.

 

 

Planche II : Le malaise, illustration en couleurs.

 

 

Ce malaise, provoqué par la mise en spectacle des corps dans des personnages qui ne sont que des gimmicks, d'où vient-il ? Est-il dû au miroir déformant que nous tend l'organisateur du spectacle ou à notre propre regard envers nos congénères humains et leur diversité, qu'elle soit physique, ethnique ou culturelle ? Et si ce miroir nous livre une caricature grotesque, pourquoi ? Est-ce sa propre vision du monde qui l'a poussé à forcer le trait ou ce qu'il pense que le public désire aduler ou conspuer ?

 

 

Ces questions seront, mes bien chères sœurs et mes bien chers frères, la méditation que je vous propose sur Saint André et l'enseignement qu'il nous offre à tous, fans de catch. N'oubliez pas de glisser quelques pièces dans la corbeille placée sur la modeste table des commentateurs espagnols qui fait office d'autel en ces lieux.

 

 

Tu n'as fait aucun jeu de mot graveleux sur la Croix de Saint André. Tu seras fouetté !


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