Interview de Pierre « Booster » Fontaine, première partie

La passion est l'âme de la parole.

Fénelon

 

Quelques années après nous avoir accordé une première interview, Pierre « Booster » Fontaine est de retour sur nos pages pour un entretien fleuve que nous publions en deux parties. Un échange passionnant marqué par la sincérité et la passion communicative de ce grand monsieur du catch français, que les Cahiers du Catch ont l’immense plaisir d’accueillir à nouveau.

 

 

Le problème, c'est qu'il n'est pas venu seul… Et depuis, nous sommes sans nouvelles de Kovax, l'auteur de cette interview.

 

 

Interview de Pierre « Booster » Fontaine (1/2)

 

La passion est l'âme de la parole.

Fénelon

 

Quelques années après nous avoir accordé une première interview, Pierre « Booster » Fontaine est de retour sur nos pages pour un entretien fleuve que nous publions en deux parties. Un échange passionnant marqué par la sincérité et la passion communicative de ce grand monsieur du catch français, que les Cahiers du Catch ont l’immense plaisir d’accueillir à nouveau.

 

 

Le problème, c'est qu'il n'est pas venu seul… Et depuis, nous sommes sans nouvelles de Kovax, l'auteur de cette interview.

 

 

Interview de Pierre « Booster » Fontaine (1/2)

 

 

Avant-propos de la rédaction:

 

Lorsque l’on reçoit quelqu’un sur nos pages, nous avons pour habitude d’écrire que nous en sommes ravis. D’abord parce que c’est vrai à chaque fois et ensuite car c’est une formule de politesse bien pratique pour démarrer un article à peu de frais. Et après avoir trop crié au loup, nous nous trouvons fort dépourvus aujourd’hui, soucieux que nous sommes de ne pas verser dans le superlatif à outrance. Alors, disons les choses simplement : nous sommes très contents de cette interview de Pierre « Booster » Fontaine. Catcheur depuis une bonne paire de décennies, patron de la ICWA, notre invité nous explique avec des mots simples ce qu’est sa philosophie du catch, ce qui constitue le moteur de sa passion, ce qu’il transmet désormais à ses élèves. De son rapport avec Édouard Carpentier, son formateur, à l’apprentissage du catch qu’il exerce selon les préceptes de son mentor, Booster se livre avec une belle sincérité, emprunte d’humilité, et vous offre cet échange passionnant et passionné. Merci mille fois à lui, et bien sûr à Kovax, auteur et artificier en chef de cet entretien.

 

 

Bonjour Booster !

 

Bonjour les Cahiers du Catch.

 

Dans votre première interview pour les Cahiers du Catch, vous avez évoqué votre formation au Canada, auprès d'Édouard Carpentier. C'est visiblement quelqu'un qui vous a beaucoup marqué, au point que vous avez un tatouage à son effigie. Comment résumeriez-vous la philosophie catch de Carpentier ?

 

En fait, Édouard est quelqu'un qui venait de la gymnastique. Il a été présélectionné pour les Jeux Olympiques, mais n'a pas pu y aller faute de moyens financiers. C'est quelqu'un qui avait donc un haut niveau dans la discipline et quand la guerre est arrivée, il a mis fin à son activité de gymnaste et a été recruté par une équipe de catcheurs. Il s'est mis au catch de façon traditionnelle : il a appris la lutte et quelques bases d'arts martiaux. Son catch était alors classique, c'est-à-dire sans ce côté voltige qui a été le sien par la suite. C'était à l'époque un des gars les plus petits du milieu, il faisait un mètre soixante-dix ; et quand il a commencé à penser à ce qui pourrait l'aider à se différencier dans le ring, il a commencé à faire de la voltige. Mais les promoteurs n'aimaient pas ça parce qu'ils estimaient que ça dénaturait le catch, contrairement au public friand d’envolées aériennes. Il a ensuite pas mal catché en France, s’est fait un nom ici et à l'étranger… Puis, dans les années 50, Yvon Robert, qui était une star du catch au Canada, l'a repéré pendant une tournée en France. Il lui a dit qu'il avait vraiment un style particulier.

 

Et c’est lui qui a fait traverser l’Atlantique à Carpentier ?

 

Oui. Finalement, ce qui était mal vu par les promoteurs français a tapé dans l'œil d'Yvon Robert, qui l'a fait venir pour une tournée au Canada, à Montréal puis dans tout le Québec, à Toronto, etc. Il est donc parti là-bas et grâce à son style, il est devenu une vedette presque du jour au lendemain. Du coup, il s'est installé au Canada en 1956 et a totalement axé son catch sur les mouvements depuis la troisième corde. Il était à l'époque un des premiers à faire ça. Il a toujours eu cette volonté de faire quelque chose de différent dans son catch. C'est ce qui a attiré les promoteurs et a fait de lui une grande star : il a notamment gagné le titre NWA contre Wladek Kowalski. Carpentier, c'est quelqu'un qui avait une vision du catch à la fois ancrée dans la tradition de ce qu'il avait appris, mais en même temps, il disait souvent qu'il n'y a pas de moule pour fabriquer un catcheur. Nous avons tous des bases communes qu'il faut apprendre, il faut être très rigoureux, un peu comme un concertiste qui travaille inlassablement ses gammes tous les jours. Il y a toujours ce travail de base qui peut sembler rébarbatif, mais qu'il ne faut pas négliger. C’est seulement ensuite, par rapport au physique du catcheur, à son potentiel et à ses aptitudes, qu’on peut chercher et trouver ce qui peut le rendre original et l'exploiter à fond. C'est ce que j'essaie à mon tour de transmettre à mes élèves : d'abord bien apprendre les bases avant de penser au reste. Ce n'est pas parce que le monde du catch à l'air d'être un business énorme, parfois fermé, que personne ne peut y trouver sa place. Si tu as de bonnes bases, que tu fais bien ton boulot, il n'y a rien qui t'empêchera d'y arriver.

 

 

À l’époque, la mode n’était pas à la taille basse. Le slip se portait haut.

 

 

Et personnellement, qu'est-ce qui vous a marqué chez Édouard Carpentier ?

 

Ça peut paraître anecdotique, mais j'ai d’abord pris contact avec lui par courrier. J'ai découvert le catch en 1985 sur Canal +. Édouard Carpentier commentait les matchs et avait dit un jour à la télé qu'il avait une salle au Québec. Quand j'ai su ça, mon rêve a été qu’il m’entraîne. Quand j'avais dix-sept ans, j'avais un correspondant au Québec et je cherchais des contacts là-bas, peut-être pas directement Édouard, mais au moins quelques catcheurs locaux qui m'ont dit qu'ils s'entraînaient dans des gymnases. Du coup, mon correspondant m'a envoyé toutes les pages de l'annuaire des gymnases de Montréal ainsi que de quelques autres au Québec, et je leur ai tous envoyé une lettre. J'ai reçu une réponse d'un propriétaire de gymnase, un ancien haltérophile de haut niveau qui savait où Édouard Carpentier entraînait ses gars. C'était juste à quelques kilomètres de là où vivait ce propriétaire, et donc il m'a dit qu'il allait lui donner ma lettre le samedi suivant et qu'il me tiendrait au courant. Et le samedi en question, Édouard a donc lu ma lettre et a répondu que si je voulais le rejoindre en septembre, je pouvais venir sans problème. Quelques heures après avoir reçu la nouvelle, j'ai pris mon billet d'avion pour Montréal. Voilà, c'est comme ça que je suis entré en contact avec Édouard. Et la première fois que je l'ai vu, ça m'a fait comme dans les films : quand je lui ai serré la main, le temps s'est arrêté. C'est comme si je rencontrais quelqu'un hors de la réalité…

 

Vous aviez l'impression de passer de l'autre côté du miroir, en quelque sorte ?

 

Exactement. Quelques mois avant que je le rencontre, il avait perdu sa femme, il était très marqué. C'était quelqu'un de très solitaire, mais d'une extrême gentillesse. Il était très fermé : personne n'allait chez lui, on n'avait pas vraiment de vie sociale avec lui ; mais à l'entraînement, on sentait vraiment la passion et l'envie de transmettre qui l'animaient. En plus, le fait que je sois Français lui a peut-être donné envie de me prendre sous son aile, car il a toujours été très bienveillant envers moi. Vous savez, au Québec, tout le monde se tutoie ; et pourtant je n'ai jamais été capable de dire « tu » à Édouard Carpentier. Il me disait tout le temps « dis-moi "tu", voyons ! », mais je n'y suis jamais arrivé. C'était presque physique, tellement cet homme m'impressionnait. Et donc oui, pour revenir à ce que vous disiez en début d’interview, j'ai un tatouage qui le représente. Ça fait très longtemps que je voulais le faire et finalement tout mon mollet droit lui est consacré, grâce à l'aide de vieilles images et de photos de l'époque. Le tatouage n'est pas tout à fait terminé, d'ailleurs, mais voilà : par rapport à tout ce qu'il m'a apporté, je me disais que même si c'est peu de lui consacrer un mollet, c'est ma façon de lui dire merci.

 

 

Le choix du mollet s’est imposé de lui-même. Il n’y avait plus assez de place ailleurs.

 

 

Finalement, qu'avez-vous appris au Canada que vous n'auriez pas pu apprendre si vous aviez réalisé votre formation en France ?

 

Sans vouloir dire du mal du catch français, après l'âge d'or des années 60-70, moins de catcheurs étrangers venaient en France et surtout, moins de catcheurs français allaient à l'étranger. Les échanges se sont peu à peu arrêtés et la discipline a eu tendance à vivre sous cloche dans l’hexagone. Le catch des années 70 n'était finalement pas très différent de celui des années 90. Et quand je suis arrivé à Montréal, c'était vraiment autre chose : tout le monde connaissait la WWE, il y avait des circuits indépendants et quand on s'inscrivait dans une école de catch, c'était vraiment dans l'idée de vouloir en vivre, pas de s'entraîner le dimanche matin comme d'autres font leur foot du week-end. Cet objectif de vivre du catch, c'est quelque chose qu'on n'avait pas forcément en France à l'époque et quand je suis parti, en 1996-97, ça n'existait pas : personne ne pouvait se dire « ma vie, ce sera le catch ». Par exemple, quand Tom La Ruffa et d'autres sont partis chez Lance Storm quelques années plus tard, cette possibilité de vivre de sa passion existait déjà. Mais moi, quand je suis parti, j'étais un peu une exception dans ma génération, j'avais cette envie de casser les frontières du possible et de montrer qu'on pouvait y arriver.

 

 

Booster est formel : au Canada, les arbitres sont beaucoup moins jolies.

 

 

Avant de fonder la ICWA, où avez-vous catché ? Pouvez-vous nous résumer votre carrière dans le ring avant la création de votre propre structure ?

 

Quand j'étais à Montréal, Édouard était le catcheur le plus populaire du Canada. Pour vous donner une idée, quand il est décédé, un message a été lu à l'assemblée territoriale du Québec et les députés ont respecté une minute de silence pour lui rendre hommage, ce qui peut sembler hallucinant vu de France, mais montre bien à quel point il était un personnage important, pour le catch, mais aussi pour l'ensemble de la culture populaire québécoise. Tout ça pour dire que quand on était un élève d'Édouard, les bookings arrivaient naturellement : même si les promoteurs ne connaissaient pas tous les élèves, ce n'était pas très important. Car si on faisait partie de ses disciples, les organisateurs de gala savaient qu'on valait le coup. Il y avait cette confiance sur la qualité de sa formation, parce qu'il faut savoir qu'Édouard n'acceptait pas tout le monde. Plusieurs fois, je l'ai vu refuser des gens qui venaient le voir pour bénéficier de son entraînement. Parce qu'il n'avait pas forcément le temps, ni la patience sur la fin. Donc ceux qu'ils gardaient, c'était le signe qu'ils en valaient la peine. Du coup, j'ai commencé à faire quelques combats là-bas, et une fois ma formation achevée, je suis resté dans le coin, à Montréal. Mon premier projet, c'était avec un élève d'Édouard qui s'appelait Daniel, qui avait des attaches au Mexique et devait partir là-bas pour catcher parce qu'il avait des contacts avec la fédération-école de la CMLL. Et comme Édouard le trouvait ingérable et un peu âgé (il avait 32-33 ans à l'époque), il voulait absolument que Daniel et moi fassions équipe. On devait donc aller rejoindre cette fédération-école de la CMLL, mais quelques semaines avant notre départ, Daniel et moi avons eu une altercation, et j'ai finalement décidé de rentrer en France.

 

 

Le catch made in ICWA. Kids, don’t try this at home. Enfin, pas devant vos parents.

 

 

C’est à cette époque que vous avez commencé à catcher pour Flesh Gordon ?

 

Avant de rentrer en France, j'ai pris contact avec Cannonball, qui catchait à l'époque pour une structure qui allait devenir la Wrestling Stars et m'a mis en relation avec Flesh Gordon. Je lui ai expliqué mon parcours, ma formation au Canada, il m'a donné rendez-vous à La Seyne-sur-Mer et m'a ensuite engagé pour une tournée au Portugal. C'est à partir de ce moment-là que j'ai intégré ce qui n'était pas encore la WS, que j’ai commencé à catcher pour Flesh, entre 1997 et 1999. Je ne sais pas si c'est encore comme ça à l'heure actuelle, mais à l'époque, quand un match marchait bien, il fallait toujours le garder longtemps. Du coup, on se retrouvait à faire le même affrontement semaine après semaine, et c'est quelque chose qui ne m'allait pas, parce que le catch que j'avais appris, ce n'était pas ça. Dans le catch qu’on m’a enseigné, il y a beaucoup d'improvisation ; là il n'y en avait pas. Chez Carpentier, on changeait régulièrement d'adversaire et là, on n'en changeait pas… À un moment, j'ai fini par me lasser au point d'envisager de quitter le catch. Je venais de rencontrer ma femme qui catchait elle aussi avec Flesh. Elle a continué le catch, tandis que moi j'ai arrêté.

 

A la maison, c’est la femme de Booster qui fait la loi. Ici, un soir comme les autres, alors qu’il trouvait le rôti un peu trop cuit…

 

 

Pas très longtemps…

 

Après un petit temps de réflexion, le catch a fini par me manquer, donc je suis revenu, mais c'était pareil : encore les mêmes matchs, tout le temps… J'ai cru que finalement, tout ça n’était pas pour moi ; je me suis dit que mon avenir dans le catch, soit il était ailleurs, soit il n'existait pas. Un jour, il y a eu des disputes à propos d'argent, pas qu'avec moi, mais entre les catcheurs du Nord, en gros, et Flesh. Comme on le dit souvent, dans le monde du catch, on est tous solidaires. Donc on s'est tous réunis, on a mis nos revendications en commun et on est allés voir Flesh lui dire ce qui n'allait pas. Flesh l'a mal pris, mais il a dit qu'il nous téléphonerait, chacun à notre tour, pour régler la situation. Il s'avère que Flesh m'a appelé en dernier et que tous les autres s'étaient déballonnés. Moi, je ne me suis pas laissé faire et j'ai dit à Flesh que j'arrêtais. La semaine suivante, j'ai catché sur la carte de Bernard Van Damme à Bruges, en Belgique, et je suis parti. Ensuite, je suis allé voir quelques promoteurs dans le Nord pour avoir des bookings, mais ça ne m'a pas plus plu pour autant parce que ça se passait comme chez Flesh, sauf que Flesh, c'est un vrai pro alors que les autres n'étaient que des amateurs. Du coup, c'était pire, en fait. Alors je suis allé chercher des bookings à l'étranger, en Allemagne, en Belgique, dans quelques autres pays… Et je suis revenu pour un petit show dans le Nord où j'ai catché contre un gars d'une cinquantaine d'années qui m'a envoyé à l'extérieur du ring totalement de travers. Résultat, je me suis blessé. J'ai dû m'arrêter pendant un an et demi, deux ans. D'une certaine façon, cette blessure m'a réussi parce qu'elle m'a permis de me poser, de réfléchir à certaines choses, et c'est à ce moment que je me suis dit que si le catch comme je l'aime n'existait pas en France, et bien il fallait que je le fasse moi-même. Et du coup, j'ai rencontré Agius, on a discuté ensemble, il est venu chez moi… Et ça s'est pratiquement fait en un week-end : j'ai dit à Agius comment je voyais le catch français et il se trouve qu'il vénère lui aussi Carpentier. Du coup, on s'est tout de suite entendus tous les deux et on a donc lancé la ICWA. C'était dur au début, parce que bon, j'avais une expérience de catcheur, mais pas de promoteur. Pendant un an, ç’a été un peu compliqué, mais finalement on a réussi à se lancer.

 

 

Marc Mercier avait raison. La ICWA a bien piqué le bleu-blanc-rouge du logo de la FFCP. Enfin, le rouge quoi.

 

 

Aujourd'hui, vous êtes un des rares à vivre du catch en France, grâce à cette activité de promoteur. Mais est-ce qu'en tant qu'athlète indépendant vous arriviez déjà à vivre de votre passion, ou est-ce que c'était plus compliqué ?

 

J'ai commencé à vivre du catch en mai 2008. On a créé la ICWA sous forme d'association au départ et on a accompli beaucoup de choses. Mais rapidement, par rapport à notre vision du catch et ce qu'on voulait faire, on s'est rendu compte qu'on n'y arriverait pas en tant qu'association. Du coup, on a créé une entreprise, parce qu'on a rencontré des gens de la société Ankama, avec qui on avait des projets, et pour mieux les développer, c'était mieux de le faire dans le cadre d'une société. Et c'est à partir de là que j'ai vraiment commencé à vivre du catch… Mais ç’a été un long parcours. En ce moment, j'ai des élèves qui me demandent comment faire pour parvenir à vivre du catch, parce qu'ils veulent carrément arrêter leurs études pour vivre de ça ; ils ne se rendent pas compte que moi, ça m'a pris plus de dix ans pour en vivre, c'est vraiment un travail de longue haleine. Je ne dis pas que c'est impossible, mais c'est extrêmement dur. J'ai la chance maintenant de vivre de ce que j'aime, mais même si ça fait un peu cliché de le dire, ça reste un combat quotidien.

 

Parlons à présent de l'école que vous avez créée, l'INFC (Institut National de Formation du Catch). Comment a-t-elle été fondée ?

 

En fait, en 2002, quand on a créé l'ICWA, on faisait déjà à la fois les shows et l'école. On a eu toute une génération d'élèves qu'on formait et qui ensuite allaient sur les shows. Quand en 2008 on a créé la société, on a « enlevé » le nom ICWA de l'association pour le donner à la société, et l’école a donc été renommée INFC. À cette époque, on a investi : on a trouvé un endroit où on pouvait installer un ring, où nous sommes restés quelque temps, puis on a eu la chance de trouver une salle dans laquelle on peut laisser le ring à demeure, ce qui fait qu'on a deux rings : un qu'on démonte et qu'on emmène pour les shows et l'autre qui reste à disposition de l'école. La semaine dernière, par exemple, de vendredi à dimanche il y avait entraînement, avec tous les élèves qui catchaient sur ce ring. C'est un vrai plus d'avoir une salle fixe pour la formation. Ça permet de faire des entraînements en groupe, c'est vraiment très utile.

 

Par exemple, sans ring, on n’aurait jamais pu prendre cette photo.

 

 

Les effectifs restent stables ou ressentez-vous la crise qui touche le milieu depuis quelques années ?

 

En fait, quand on a commencé en 2002, alors que le catch n'était pas encore sur le devant de la scène, on avait une petite dizaine d’élèves par an environ. Quand la mode est arrivée, on a eu des demandes accrues, notamment chez les jeunes, mais personnellement je me suis toujours refusé à prendre des gamins de moins de quinze ans. Cependant, vu la forte demande, on s'est dit que si ces enfants faisaient la démarche de vouloir apprendre le catch, autant éviter qu'ils fassent ça n'importe comment chez eux. Du coup, on a créé une sorte de section junior, mais ça n'a duré qu'un an parce que ça ne correspondait pas à ce que je voulais. On est donc revenus sur cette base : pas d'apprentissage dispensé aux moins de quinze ans, seules les personnes de plus de dix-huit ans peuvent accéder à la formation intensive. Et donc, pour répondre à votre question, pendant la mode on a eu un accroissement des effectifs, et oui, ça s'est tassé ensuite, mais pas tant que cela. Il faut dire qu'il y a aussi le fait que nous, on a pris le parti de ne pas accéder à toutes les demandes. Parce que la formation de base fait quatre-vingts heures, soit par des stages, soit par la formation intensive, et que c'est beaucoup de temps. On ne peut pas forcément s'occuper efficacement de vingt personnes à la fois. Du coup, cette année, on doit avoir une quinzaine d'élèves et on pourrait difficilement s'occuper de plus de monde. Mais ces quinze-là, on va faire le maximum pour les faire aller jusqu'au bout de leurs capacités, ce qui prend énormément de temps.

 

 

Et ceux qui n’y arrivent pas connaissent le tarif… Il est indiqué sur les t-shirts de Booster.

 

 

Et ces élèves, justement, quel est leur profil ? Des catcheurs déjà formés qui viennent pour approfondir leurs techniques, ou principalement des débutants ?

 

Il y a plusieurs choses : pour les entraînements toutes les semaines, on a eu une majorité de gens qui venaient de la région et qui étaient débutants. Ensuite, on a aussi des gens qu'on a connus il y a trois ou quatre ans et qui sont encore avec nous. On a aussi des élèves qui arrivent de très loin et qu'on forme ; certains ont déjà fait cinq, six, sept, huit stages. Et ces personnes qui ont commencé via les stages peuvent aussi éventuellement passer sur les shows. Parfois, on a même dans nos formations des gens qui ont appris les bases du catch ailleurs, et qui viennent soit pour voir une autre manière de pratiquer, pour approfondir quelques aspects, ou tout simplement nous montrer ce qu'ils savent faire avant d’intégrer un show. Il y donc un peu tous les profils chez nous. D'ailleurs, on a de plus en plus de filles, ce qui est très intéressant : avant de nous rejoindre, elles mettent plus de temps à se décider, à franchir le cap, mais quand elles débarquent, elles ont déjà fait toute une démarche intellectuelle, elles ne sont pas là par hasard. Elles savent ce qu'elles veulent. Les filles sont vraiment acharnées et ne lâchent rien.

 

Et en ce moment, est-ce que vous avez des élèves dont vous pouvez dire qu'ils sont prêts pour se produire professionnellement ?

 

Oui, il y a notamment Tony Mafate qui était avec nous l'année dernière, qui est venu s'entraîner chez nous spécialement en quittant l’Ile de la Réunion ; il y a aussi pas mal de stagiaires qui ont beaucoup de potentiel, mais c'est très difficile de donner des noms parce que ce serait leur mettre trop de pression. Dans les gens qu'on a eus ces deux dernières années, je pense qu'on en a deux ou trois qui, s'ils restent déterminés, poursuivent leurs efforts et prennent les bonnes décisions, peuvent viser très haut, même la WWE. Après, on en a aussi d'autres qui peuvent se faire un nom en France ou en Europe. Pour être franc, il est rare qu'on garde des gens plus de deux ans si on ne les croit pas capable de continuer à haut niveau.

 

 

Lui par exemple, Booster n’y croyait pas trop. Du coup, il ne l’a pas gardé.

 

 

Et ça a l'air de payer, puisque parmi vos élèves, vous avez eu Lucas Di Léo, qui a justement signé à la WWE en 2012. Après l'annonce de sa signature à Stamford, qui a dû être un sacré coup de projecteur sur votre école, est-ce que vous avez bénéficié d'une hausse des inscriptions ?

 

Oui, mais si ç’a été un gros plus, on avait déjà une image d’école pro et sérieuse. Il y a eu une sorte d'effet de mode après ça, bien sûr, mais nos élèves sont surtout attirés par le sérieux de notre formation. Après, évidemment, ç’a ouvert des portes, parce qu'avant ça, il semblait impossible pour un Français entraîné en France de signer à la WWE. En ce sens, la réussite de Lucas est une excellente chose.

 

Cette signature a mis à mal cette idée reçue comme quoi il est impossible pour un Français de réussir à faire carrière aux États-Unis.

 

Absolument, parce qu'en fait, notamment chez certains fans de catch, le catch français est a priori mauvais. Il y a des gens sur Internet qui vont dire du mal du catch français alors qu'ils ne vont à aucun show ; tout simplement parce que c'est du catch français. Comme si « le » catch français existait, alors qu'il y a tellement de diversité dans le catch en France qu'on ne peut pas tout mettre dans le même panier. La signature de Di Léo a montré aux gens que s'il y a le sérieux, de la volonté, une confiance en soi et ce travail acharné nécessaire, on peut y arriver. Il n'y a pas de limite. Moi, à l'époque, j'avais des gens qui venaient me dire « mon rêve, c'est la WWE, mais je sais bien que c'est impossible… » Alors oui, évidemment qu'il y a plus de chances d'être refusé que d'être pris, que c'est extrêmement dur, mais ça ne veut pas dire que c'est impossible pour autant. Surtout que la WWE, depuis qu'elle a créé son Performance Center, a un peu ouvert ses portes : ils ont un peu assoupli leurs critères de sélection, notamment sur le physique, alors il y a quand même plus de possibilités qu'avant. Même si ça reste compliqué.

 

 

Faire carrière à la WWE ? Non, c’est pas si difficile.

 

 

Peut-on dire du coup que Lucas Di Léo est votre plus grande réussite en tant que formateur ? Ou est-ce qu'il y a des élèves dont vous êtes encore plus fier ?

 

Moi, je suis fier de tous les élèves qu'on a formés, qu'ils soient restés chez nous ou pas. Ça peut sembler naïf de dire ça, mais personnellement, je me vois comme le maillon d'une chaîne. J'ai été entraîné par Édouard, qui m'a transmis quelque chose qui n'a pas de prix ; il m'a donné une partie de son savoir, et moi je redonne à mon tour ce savoir à d'autres. Et ça, c'est quelque chose qui nous lie tous, quoi qu'il arrive. Il y a des gens avec qui j'ai eu cette relation de partage et qui maintenant ont des mots très violents à mon égard, mais ce n'est pas grave, parce qu'on partage quand même ça. Et si ces gens entraînent d'autres personnes, ils les entraînent forcément un peu à ma manière, retransmettent une partie de ce qu'Édouard m'a appris, et ça me suffit. Après, parmi tous les élèves qu'on a entraînés et mis sur un ring, il y a des gens qui m'ont plus marqué que d'autres, certains par exemple qui avaient plus de difficultés à la base pour apprendre et qui ont compensé par leur travail acharné… Mais il y a quelque chose que je retire de tous les parcours, de tous ceux que j'ai pu avoir sous mes ordres. En ce qui concerne les élèves, il y a plein de gens, que ce soit Peter Fischer, Bulla Punk, qui a été ma première élève… Je n'aurais pas dû commencer à citer des noms parce que je vais sûrement en oublier plein, mais je suis fier de tous. Ma plus grande fierté dans le catch, en fait, c'est d'avoir réussi à transmettre ce qu'Édouard m'a donné, et je suis persuadé que quand j'arrêterai le catch, c'est quelque chose qui continuera à vivre, que la chaîne continuera. Après, Lucas, c'est forcément la vitrine de tout ça et je suis évidemment très fier de lui, non seulement pour sa réussite, mais aussi en tant qu'homme, car il a pris une décision pas facile en quittant la WWE, en disant que ce n'était pas fait pour lui. Je le respecte encore plus pour ça.

 

 

Lucas Di Léo, le talent pour réussir. La gueule de l’emploi. Un physique comme Vince en raffole. Mais le Nord de la France lui manquait trop. Va comprendre.

 

 

C'est vrai que sa décision n'a pas dû être évidente à prendre…

 

C’est clair. D'ailleurs, il y a plein de choses ridicules qui ont été dites là-dessus. Quand il est arrivé à la WWE, il s'est assez vite rendu compte que ce n'était pas forcément comme il l'avait imaginé. Depuis qu'il était gamin, son rêve était d'aller à la WWE. Quand il a signé et qu'il est arrivé à NXT, il était sous contrat officiellement avec la WWE, il avait atteint son but. Après, il a vu que par rapport à ce qu'il pensait, ce qu'il attendait de la vie, la WWE ne répondait pas à ses attentes ; donc il sentait que ce n'était pas pour lui. Bon, après, il y a eu cette blessure, mais dans tous les cas, je crois qu'il ne serait pas resté. Trois semaines après être arrivé là-bas, il parlait déjà de rentrer : c'était juste pas pour lui, voilà tout. Après, je pense que c'est un peu dommage quand même, parce qu'il a eu une sorte de voie royale : quand il était à Liverpool pour les essais, c'était le seul catcheur invité directement par la WWE. Les autres avaient dû faire marcher leurs réseaux, lui avait juste envoyé une photo et une vidéo, et ils l'ont signé presque aussitôt. Donc ouais, je pense que c’est sans doute un peu dommage du point de vue purement « catch », mais ça reste une super belle aventure, parce qu'à lui seul, il a réussi à faire bouger le catch français en montrant qu'il était possible pour un Français d'entrer à la WWE alors que ça semblait jusqu'alors impossible, et ça, ça mérite le respect.

 

 

La suite dès demain!


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