Le vrai catch selon l’Ultimate Georges Michaels

La volonté du Ciel, c’est moi !

Gong Er

 

3 heures du matin. 
Dans ma cuisine, appelée aussi l’Ultimate Georges Michaels’ Kitchen.

 

Deux chaises. Deux hommes assis. Deux tasses de café fumant. Une paire de charentaises. Une paire de pieds nus. Une paire de cernes, sous les yeux de Sébastien. Et moi qui noue la ceinture de ma robe de chambre en laine de mouton.

 

 

"Le catch était reconnu comme une œuvre athlétique sans équivalent, l’expression de la puissance pugilistique maîtrisée, du geste technique intelligible par excellence."

 

 

Le vrai catch selon l’Ultimate Georges Michaels, épisode 6

Le rêve

La volonté du Ciel, c’est moi !

Gong Er

 

3 heures du matin. 
Dans ma cuisine, appelée aussi l’Ultimate Georges Michaels’ Kitchen.

 

Deux chaises. Deux hommes assis. Deux tasses de café fumant. Une paire de charentaises. Une paire de pieds nus. Une paire de cernes, sous les yeux de Sébastien. Et moi qui noue la ceinture de ma robe de chambre en laine de mouton.

 

 

"Le catch était reconnu comme une œuvre athlétique sans équivalent, l’expression de la puissance pugilistique maîtrisée, du geste technique intelligible par excellence."

 

 

Le vrai catch selon l’Ultimate Georges Michaels, épisode 6

Le rêve

 

– Si je t’ai fait venir à une heure pareille, Sébastien, c’est parce que je viens de rêver un truc incroyable !


– Ah !? Vraiment ?


– Puisque je te le dis, idiot ! Un rêve long, sinueux et sanglant… avec Brock Lesnar en guest star !

– Waouh !

– Parle moins fort, gredin ! Les rêves s’évanouissent si vite après notre réveil qu’il est primordial de les transmettre dans l’heure qui suit. Veux-tu que je te conte celui que je viens de vivre pendant qu’il est encore frais, crapule ?


– Cela va sans dire maître. Je vous écoute.

– Très bonne réponse, jeune homme. De toute façon, valait mieux pour toi que tu me répondes par l’affirmative, je ne t’ai pas commandé de me rendre visite à cette heure-ci pour que tu me refuses cette faveur…

 

Sébastien soupira. La fatigue, probablement.

 

– Bien ! Alors… Par où commencer ? J’aime beaucoup tes chaussons. Mon grand-père avait les mêmes, sauf que c’était un vieillard de 95 ans. Donc, ne nous égarons pas… Euh… Attention, ça va partir… Et quand je pars, je ne m’arrête plus. Surtout, je t’avertis, ne m’interromps pas sinon je te claque le beignet… C’est bien compris ?

– …


– Alors… Je me souviens… Je me souviens… Je me souviens de… d’une pluie de confettis. Nous étions dans la lumière. Moi, Brock et l’arbitre. Nous étions le centre de l’univers. Autour de nous la foule se déchaînait dans le noir. Les applaudissements étaient assourdissants. Les flashs crépitaient. Ça gesticulait au bord du tapis. Les cameramen avaient le sourire. L’annonceur hurlait dans son micro. Sa voix grelottait. Il scandait mon nom et le mot « Champion ». Dans la même phrase. Et puis journalistes et photographes se sont lâchés. Ils ont osé monter sur le ring. Ça leur est interdit par le règlement, mais ce match n’avait rien de commun avec tout ce que le business du catch avait connu auparavant. Ce n’était pas une affiche produite par la WWE. L’événement revêtait un tout autre niveau. L’échelon supérieur…

 

 

Le Highlight de la carrière de Brock : figurer dans un rêve de l’UGM.

 

 

…Mon promoteur avait déclaré à la presse que le monde entier s’arrêterait de tourner pour me voir détrôner Lesnar. Il avait raison. Alors les photographes m’ont encerclé. Ils m’ont aveuglé. Je ne voyais plus rien. La lumière froide des flashs me renvoyait à l’intérieur de mon propre corps. Devant les objectifs chauffés à blanc, je caressais mon flanc droit et je sentais une bosse quelques centimètres à peine sous mon pectoral. Je peinais à reprendre mon souffle. Chaque fois que j’inspirais, la bosse me faisait un mal de chien. Ce n’était pas la première fois que je me pétais une côte. Or, ce coup-ci, j’étais bien amoché. C’était cassé net. Pas une petite fracture, non. Une blessure de guerre. Et j’avais fini le match. Et le public en était chamboulé. Un boxeur, un fighter, un judoka auraient arrêté. Au pire, leur manager aurait jeté la serviette en signe d’abandon. Nous, les catcheurs, nous étions d’un tout autre métier. La réalité n’avait pas le droit de prendre le pas sur l’art. Il fallait aller jusqu’au bout de la catastrophe. Il fallait respecter ce combat, l’aimer jusqu’à la dernière minute, le construire à chaque geste, chaque regard, chaque coup et chaque projection.

Brock n’était pas un tendre. Une tête d’affiche qui avait bouleversé les codes du sport-spectacle. Il avait tout gagné chez Vince McMahon et Dana White. Ce n’était pourtant qu’un début. Aussi, à 38 ans, son recrutement par un milliardaire russe avait contribué à propulser le catch au-dessus de toute autre discipline sportive. Un plan média phénoménal financé par la mafia, des fuites sur des rencontres truquées du côté de la FIFA et des scandales en boucle autour du CIO avaient littéralement transformé les habitudes des amateurs de sport. Le catch était devenu plus vrai et plus sincère que tout ce qu’on avait vendu au peuple jusqu’à présent. Le catch était reconnu comme une œuvre athlétique sans équivalent, l’expression de la puissance pugilistique maîtrisée, du geste technique intelligible par excellence. Il dégageait une image à ce point noble que les pratiques extrêmes dérivées de la lutte professionnelle avaient disparu d’elles-mêmes. Le catch hardcore ne montrait plus le bout de son nez, s’effaçant définitivement au profit des duels purs à mains nues. On faisait chialer les vieillards, glapir les cadres et les professions libérales, on émoustillait les adolescentes et on serrait la pince du Président de la République et de son ministre. Après un combat de catch, le reste de l’existence devenait secondaire. Les JO, la Coupe du Monde de football, le foot US, c’était du passé. Au Japon, le base-ball s’enlisait. En Nouvelle-Zélande, les gamins qui achetaient des bottines de catch les fourraient avec du papier arraché dans des revues de rugby. Au Brésil, le MMA perdait des licenciés par centaines tous les jours…

 

 

– M. Blatter, la FIFA est dans la merde. D’après l’UGM et son promoteur russe mafieux, des matchs de foot ont été arrangés…

– Quoi ! Impossible ! Quel intérêt de truquer des résultats de foot ? Ce promoteur russe est un vieil ami, il raconte n’importe quoi !

 

 

… C’est pour toutes ces raisons que ce rêve m’a paru si intense. Je brandissais la ceinture au-dessus de ma tête et le peuple criait mon nom. Ce n’était pas seulement le stade que j’entendais, mais une rumeur terrestre qui acclamait l’avènement d’un nouveau Dieu. J’avais battu Brock Lesnar. Je l’avais cloué au tapis avec un Brainbuster exécuté de la deuxième corde. Trente-cinq minutes d’échanges et, en équilibre sur le coin du ring, je concluais les débats en réussissant une chandelle sur un adversaire de 140 kilos. Juste avant l’impact, j’avais rabattu contre moi la nuque de Brock, afin d’amortir sa chute. Le choc avait dégagé un bruit inquiétant. 95 000 personnes debout dans le stade, 4 milliards devant leur TV. Et toute cette tribu d’esthètes qui compte jusqu’à trois en même temps. Un raffut intersidéral.

Lors de la conférence d’après-match, Brock avait affirmé aux journalistes qu’il n’avait pas pu percevoir distinctement le décompte. Il n’était pas K-O, juste étourdi, et le brouhaha ambiant l’avait empêché de réagir. C’était la faute de la foule. Le stade avait été mon complice et le Champion déchu exigeait déjà une revanche devant un parterre de reporters qui buvaient son chagrin et sa haine comme on buvait les saintes paroles d’un homme d’église au Moyen Âge.

Dans mon bain de glace, quelques minutes après avoir quitté l’arène, je me concentrais sur la voix de Gibson, mon manager. Pendant une minute, il m’a raconté ce qu’il avait vécu intérieurement pendant l’affrontement. Il parlait lentement comme pour m’hypnotiser et ainsi m’aider à résister au froid :


« Tu as perdu connaissance sur une corde à linge. Il t’a touché sous le menton. J’ai cru que c’était terminé, que tu ne reviendrais pas. L’arbitre a repoussé Brock dans le coin, puis il a accouru te demander si tu souhaitais continuer. Tu lui as tapoté l’épaule en signe d’approbation, sans savoir où tu étais. T'en voulais encore. Mais tes yeux… comment dire… tes yeux, ils n’étaient plus là. Ils étaient loin du ring, loin du match, à la frontière entre la vie et la mort. Tout aurait pu s’achever sur ce coup, mais tu es revenu et tu as encaissé sa prise de finition, sa tornade F5. La sixième de la rencontre. Là, c’est ta côte qui a explosé. Je ne sais pas où tu as trouvé la force de te relever, ni comment tu as pu te dégager de son tombé. Au premier rang, il y avait un homme avec des lunettes rondes, du genre professeur d’histoire. Il hurlait. "Relève-toi, Michaels… je t’en supplie ! Relève-toi…"  Rends-toi compte, il te suppliait de ne pas abandonner. Il projetait sur toi tout ce que son corps pouvait contenir d’émotion. Il avait mal avec toi, peur avec toi, il aurait accepté volontiers de mourir avec toi. C’est dingue ! Carrément dingue !

Demain, tu passeras au journal de 20 h sur la première chaîne. Ton interview sera retransmise dans 115 pays. Plus que ton match, c’est ce moment que j’attendais. J’en viens à me demander si l'on parle de catch ou s’il s’agit d’autre chose, d’un autre sport… Moi qui m’arrachais la peau dans des gymnases miteux pour gagner ma croûte. Au moins, j’aurai vu ça, j’aurai vu mon poulain vaincre et être acclamé, provoquer une vague d’enthousiasme comme nulle autre auparavant, grâce à ce sport pour lequel j’ai tout donné pendant tant d’années. Mon accomplissement, c’est toi, Georges. J’ai toujours eu l’impression que le catch était important. Cette impression n’est plus. C'est une réalité. Je te remercie et je t’aime. Allez, sors d’ici ou tu vas finir par te transformer en esquimau glacé. »

 

 

Short flow du rappeur Cena avant impact au tapis : « La tornade F5 te pète les côtes, te pètela rate, te pète le foie, te pfffrarghouille…»

 

 

– Quand j’ai quitté mon bain, je suis passé devant le vestiaire de Brock. J’ai regardé dans l’ouverture de la porte et je l’ai vu, la tête calée dans ses grosses paluches. Il pleurait. Vois-tu Sébastien, quand on rêve, on sait ce que pensent les autres personnages de nos songes. Veux-tu que je te dise ce que pensait Brock ?


– Bien sûr, maître…


– Je t’ai dit de ne pas m’interrompre… Bon… Ce n’était pas des larmes de tristesse, mon garçon. C’était de la félicité qui lui sortait de la tête. Il y en avait trop pour lui, même dans une aussi grosse caboche que la sienne. Y’en avait trop. Quand tu arrives à l’ultime seconde de l’effort, les particules de ton métabolisme, ta chair, tes muscles se vaporisent sous ta peau. Tu chauffes à un million de degrés pendant quelques minutes, tu revois ta vie, les étapes qui t’ont mené jusqu’à ce moment fatidique et tu réalises à quel point tu as avancé. C’est comme être abasourdi devant les milliers de détails d’une somptueuse fresque et apprendre soudainement que tu en es l’auteur. Brock a réussi le match parfait. Il a perdu et malgré cela personne ne peut lui adresser le moindre reproche. Il a réalisé brutalement l’ampleur de son travail et il a tout pris dans la gueule quand la main de l’arbitre a tapé le tapis pour la troisième fois. Et dans ce vestiaire, la vapeur dont je parlais a refroidi. Elle est retournée à l’état liquide. Elle devait absolument trouver un moyen de s’échapper. Elle est sortie par tous les pores de sa peau. Il sanglotait de bonheur à l’idée d’être entré dans l’histoire, d’être reconnu pour son travail. Ce n’était pas sa célébrité qui lui importait, mais la reconnaissance de son travail. Pour la première fois de sa vie, il estimait mériter tout ce qu’il avait. De l’amour de sa femme aux sponsors qui criblaient son short de combat, en passant par les petits plats que sa mère lui servirait dans sa ferme familiale. Il mesurait enfin la valeur de ses efforts. Tout devenait normal, logique et c’était à en crever d’allégresse. La béatitude de Brock Lesnar naissait de ce que les médias allaient pourtant relater comme une défaite. Pleurer de joie après avoir perdu, ça ne te semble pas complètement fou ? Tu veux que je te dise, cette défaite n’en était finalement pas une, même si aux yeux du monde Brock avait bel et bien cédé sa ceinture. Dans un match de catch réussi, personne ne perd. Les protagonistes construisent des images qui restent. Ils manipulent la mémoire collective et la gravent. C’est ce que j’appelle le « Puzzle de la Victoire ». Pour que la dernière pièce de ce puzzle soit posée, il faut que quelqu’un perde. Garder les épaules au sol est un sacrifice que le vaincu accepte pour que l’œuvre soit complète. Brock a atteint la grandeur suprême en demeurant allongé sur le tapis.

– Je n’aurais jamais imaginé que Brock puisse aimer à ce point son métier.


– Imbécile, c’est un rêve. Il reflète ma psyché. Mon amour conscient et inconscient du catch professionnel. Pas le sien. D’ailleurs, sais-­‐tu ce qui me tue le plus dans cette partie de mon rêve, Sébastien ?
— Non, maître.
— Je me doutais que tu n’y comprendrais rien. M’enfin, tu es encore jeune… Ce qui me tue le plus dans ce rêve, c’est que j’ai appréhendé l’humanité comme un groupe capable de conscientiser la beauté de ce geste, sa dimension dramatique. Mon subconscient m’a permis de vivre une popularité du catch tout bonnement utopique.


– C’est ouf !

– Oui. Je suis verni.

 

Un ange passa. Sébastien but son café. J’en fis autant. Je me demandais s’il saisissait réellement la foi que j’avais en ce que les Japonais surnommaient affectueusement « le Roi des Sports ». J’avais aussi envie de dormir.

 

– Voilà. J’ai fini, mon garçon. Il me semblait évident qu’il fallait partager cela avec toi pour que tu comprennes l’importance que j’accorde au catch ! Même si pour ça j’ai dû te réveiller de si bonne heure.


– J’en suis honoré, maître. Me lever n’est pas un problème. Je ne serai pas en retard au turbin, pour une fois.

– Maintenant, tire-toi !


– Oui, je m’en vais de suite. Par contre, je voulais vous demander une chose.

– Quoi donc, petit impertinent, ne vois-tu pas que je suis épuisé ? Casse-toi d’ici !


– Pardon… mais, saviez-vous que j’avais des origines russes ?

– Non, et je m’en balance complètement… Que fais-tu chez moi à cette heure si tardive ? Je devrais être au lit, bordel !


– Maître… et si c’était moi, le milliardaire russe auquel vous avez rêvé ?

– Où veux-tu en venir ?

– Je crois, après vous avoir attentivement écouté, que nous devrions nous mettre au boulot et créer notre propre fédération de catch. C’est à cela que nous sommes destinés.


– Pauvre fou… pauvre fou… Je perds mon temps avec toi. J’aurais dû laisser la patronne des routiers te corriger un peu plus !

 

Sébastien se leva de sa chaise. Il fit un tour sur lui-même avec la grâce d’un mauvais magicien.

 

– J’ai 50 000 € sur un compte épargne. Suffit d’un « oui » de votre part pour que je débloque les fonds !

 

Je considérai les coups de soleil que mon apprenti avait attrapés sur le parking du restaurant routier. Son front pelait. Son nez pelait. Le coin de son œil était encore violet. Il m’énervait avec sa tête de victime. Mais, j’admis qu’il avait un sacré paquet de blé l’enfant de salaud. J’adorais les idées à la con et avec lui, j’étais servi. J’ai décollé mon cul de la chaise et ai fait également un tour sur moi-même. Avec bien plus de classe que mon invité cependant. Je le regardai droit dans les sourcils (je ne pouvais pas faire autrement sachant que j’allais le foutre dans une merde totale) et articulai très calmement :

– Mon adorable Sébastien, à 9 heures pétantes, passe un coup de fil à la banque.

– Et je dis quoi ?


– Que tu y passeras dans l’après-midi récupérer 50 000 € en petites coupures !

 

 

Avant cette chronique, j’étais comme ça

 

 

Après cette chronique, une meuf et deux chats sont rentrés chez moi. Donc, j’étais comme ça.


 

 

Après cette chronique, Sébastien était comme ça.

 

 

 


Publié

dans