Le vrai catch selon l’Ultimate Georges Michaels

Je m'excuse, j'écoutais pas !
The Dude

 

Boire des russes blancs, répéter bêtement une phrase culte lors d'un rendez-vous galant, ça fait de l'Ultimate Georges Michaels ce qu'il aime être : un type pas fini que les filles giflent sans vergogne. Grave docteur ? Non! Car évoquer la finitude sous-entend l'existence d'un commencement. J'ai effectivement commencé à regarder du catch en 1993 et depuis, je réfléchis à une question apparemment sans réponse : qui a la meilleure Corde à linge du catch ? Nuit et jour, mon lecteur DVD a tourné à plein régime. Jusqu'à ce que je bousille la télécommande et ne sois dans l'obligation de prendre ma première douche de la semaine pour aller à DARTY.

 

 


– Tu m'avais dit que c'était une Clothesline et pas un Lariat, espèce de menteur !
– Shujinnocent !

 

 

Le vrai catch selon l'Ultimate Georges Michaels, épisode 3 :

Corde à linge et Spandex

 

Je m'excuse, j'écoutais pas !
The Dude

 

Boire des russes blancs, répéter bêtement une phrase culte lors d'un rendez-vous galant, ça fait de l'Ultimate Georges Michaels ce qu'il aime être : un type pas fini que les filles giflent sans vergogne. Grave docteur ? Non! Car évoquer la finitude sous-entend l'existence d'un commencement. J'ai effectivement commencé à regarder du catch en 1993 et depuis, je réfléchis à une question apparemment sans réponse : qui a la meilleure Corde à linge du catch ? Nuit et jour, mon lecteur DVD a tourné à plein régime. Jusqu'à ce que je bousille la télécommande et ne sois dans l'obligation de prendre ma première douche de la semaine pour aller à DARTY.

 

 


– Tu m'avais dit que c'était une Clothesline et pas un Lariat, espèce de menteur !
– Shujinnocent !

 

 

Le vrai catch selon l'Ultimate Georges Michaels, épisode 3 :

Corde à linge et Spandex

 

 

DARTY – samedi 13 avril 2013 – 11 h 35

 

 

– Qu'avez-vous fait avec cette télécommande pour qu'elle soit dans un état pareil ?
Je réponds :
« Avancer, reculer… et puis j'ai recommencé, encore et encore.
– Oui, je veux bien, mais pourquoi avoir enfoncé les touches à ce point ? Que regardiez-vous avec frénésie ? »

 

Je réalise que le petit vendeur badgé Sébastien, culminant à un mètre cinquante-deux, soit vingt-six centimètres de moins que moi (et Jean-Claude Van Damme, et Rhyno, mesurant aussi 1, 78 m), me soupçonne d'avoir martyrisé cet objet en m'adonnant à des trucs pas très catholiques.
Intrépide, je lui flanque sa tartelette de suspicions dans la margoulette :
– Écoutez, je viens juste ici pour que vous m'échangiez cette fichue télécommande, pas pour que vous enquêtiez sur mes travers télévisuels, lesquels ne sont aucunement liés à des programmes érotiques. Ni même lesbiens. Pour ça, j'ai mon ordinateur ! Là, c'est une autre histoire, plus complexe, plus profonde. J'ai besoin d'une nouvelle télécommande pour pouvoir rentrer chez moi et revoir en boucle une Corde à linge. Est-ce que vous pouvez vous mettre ça dans la tête ???

 

Seb est revenu avec son chef de rayon. J'ignorais que le pitchou de 18 ans était un stagiaire. Je n'aurais su prévoir qu'il fondrait en larmes aussi facilement. Raymond, 55 ans, grain de beauté disgracieux au coin d'un menton fendu comme le décolleté de ma voisine, revient à la charge.
Il a le masque du syndicaliste en colère, mais sa retenue l'empêche d'exploser, car il risque de rompre la quiétude qui émane des gondoles. Une émission sur l'accouplement des pingouins, diffusée sur la trentaine d'écrans qui me lèchent le dos, captive l'attention de deux enfants d'environ huit ans.

 

– Bonjour monsieur, quel est le problème au juste ?
– Je voudrais une nouvelle télécommande.
– Ah, que lui est-il arrivé ?
– Aucune importance, elle est foutue, c'est tout…
– Oui, mais j'ai besoin de…
– Bon ok, je vous explique, j'ai fait une fixette sur une Corde à linge.
– Dans ce cas, allez voir un psychologue, monsieur !
– Je ne vous parle pas de la corde à linge du verger de ma grand-mère. Je vous parle d'une Corde à linge de Bret Hart, punaise.
– Je ne connais pas cette marque, monsieur ! Est-ce français ?

 

Et là, j'ai « dégoupillé », comme le veut une expression consacrée dans les troquets qui longent le Tarn.

 

– Non canadien, mais putain, mais c'est une blague ou quoi ? J'ai une chronique à gratter pour les Cahiers du Catch, je…
– Les Cahiers du cinéma, vous voulez dire !
– Il va me laisser finir le pleutre, hein ? Je vous explique que j'ai du boulot pour le meilleur site de catch au monde, que je suis à la bourre, que je dois visionner des heures et des heures de combat pour trouver qui… bordel… qui a la meilleure Corde à linge de la planète pro-wrestling, purée ? Ça vous passe au-dessus de la tête, ça ! Pour vous, tout ce qui compte c'est de savoir quand la Corée du Nord va se brûler les doigts avec ses fusées de feux d'artifice. Ou pire encore, je suis sûr que vous salivez à l'idée de découvrir ce que renferment les bas de laine de nos ministres, espèce de voyeur, va ! Pendant ce temps-là, moi, j'œuvre à faire avancer les choses. J'avance et je recule sur des kilomètres de pellicule. Je risque ma peau à trancher entre de vraies Cordes à linge et des putains de Lariat(ooooo) japonais. Est-ce que vous mesurez l'impact de mon travail ? J'adore Shuji Kondo et je ne peux pas le classer dans la catégorie des meilleurs producteurs de Cordes à linge. Tout ça à cause du mouvement de bras circulaire distal-médial qui trahit la trajectoire originale de la Clothesline. Ça me rend suffisamment furax pour qu'on me demande en plus de justifier l'achat d'une télécommande.

 

À partir du mot pro-wrestling, Raymond a décroché.

 

– Monsieur, d'autres clients me font signe, je…

– Non, mon brave, vous ne bougerez pas d'ici. Vous avez voulu enquêter sur ma façon de prendre mon pied avec une télécommande et bien vous allez être servi. Rappelez votre stagiaire, qu'il tende l'oreille. Ce ne sera pas difficile pour lui, vu les feuilles de chou qu'il se trimballe…

 

J'invite moi-même Sébastien à nous rejoindre. Il approche avec tant d'hésitation qu'on croirait que ses hanches sont montées à l'envers.

 

 

Hurler n'y changera rien, JB ! Tu es un travesti de la Corde à linge.
 
 

– L'Ultimate Warrior courait de façon rectiligne, et avec la seule force de son élan, juste en tendant le bras, il coupait des têtes. Au milieu des années 2000, JBL est devenu Champion WWE avec une soi-disant Clothesline from Hell, mais c'était un mensonge. Un mensonge, je vous dis ! Il bossait au Lariat le Texan, et il a dupé tout le monde, vendu des T-shirts, des pogs et des toupies à son effigie.

 

Le front acnéique de Sébastien se strie d'un éclair d'incompréhension. Il n'a certainement jamais entendu parler des pogs, cet inculte. Son manque cruel de culture ne saurait rompre le flot jaillissant de ma plaidoirie catchesque. Personne ne m'empêchera de poursuivre mes recherches en Cordes à linge.

 

– Je vous vois déjà venir, à ricaner à la seule évocation du British Bulldog. À critiquer mon côté vieux jeu, mais Davey Boy Smith avait lui aussi de vraies belles Cordes à linge, pas des attaques hermaphrodites à la Dwayne Johnson, ça non. Tiens, en parlant de bizarreries, je me suis étonné de voir que Randy Orton ne se débrouillait pas mal dans ce domaine. Bras dans l'alignement du torse, coude déplié. Du solide, incontestablement. Un peu académique, cependant. Lui manque une course d'élan digne de ce nom. Randy se contente de les distribuer en s'adonnant à des fentes avant, style joueur de badminton. Ça fiche tout en l'air. Son ancien poulain Ted DiBiase Jr. en avait une belle aussi, avec rebond dans les cordes, et pourtant, je dois bien reconnaître qu'il s'agissait d'un Lariat… Ah ! Les gens sont tellement faux. Pourquoi appeler ce geste une Clothesline alors que c'est un coup smashé. La différence est trop infime m'a dit l'autre jour un journaliste de L'Équipe.fr. Quand j'entends une chose pareille, je réalise à quel point le catch est sorti de ses frontières, accueilli qu'il est par des profanes devenus pharisiens dans la foulée. « J'ai vu deux matchs à WrestleMania, donc j'ai un avis sur les Clotheslines… » Les journalistes de L'Équipe sont bons pour le patinage artistique, rien d'autre. Triple Lutz que j'orthographierais « triple lose » ! Bande de danseuses. Et toi Sébastien, tu chouines dès qu'un client te résiste, mais bordel on n'a jamais vu ça dans le monde de la TV plasma. T'as besoin de Captain Raymond pour te sauver la mise dans cette affaire de télécommande. Je me demande comment tu t'en sortirais dans un ring…

 

Parfois, mieux vaut se taire. Trop jeune pour ce genre de débat, Sébastien se hasarde sur un terrain miné.

 

– C'est truqué le « cach »!

 

J'avoue, la réaction qui va suivre est excessivement disproportionnée au regard de l'ambiance romantique dont nous gratifient les pingouins.

 

– Oh le pigeon… Ah non, c'est pas possible… Répète un peu pour voir gamin ??? Vas-y, redis-le. N'aie pas peur, il ne t'arrivera rien… ou du moins, tu t'en sortiras avec une mâchoire fracturée. Répète ce que tu as dit…

 

 

DARTY – samedi 13 avril 2013 – 12 h – Handicap Match : UGM vs Darty Box of Fools

 

Ça a vraiment dérapé quand Ray a pris la défense du petit en ajoutant avec une fausse naïveté : « Bah oui, le ''cach'' c'est du chiqué ! »

 

– Les mecs. Comment dire ? En l'an 2013, ça me scie les pattes de voir qu'il existe encore pareils inconscients. Cach ? Vous vous entendez un peu ? C'est catch, sombres imbéciles. CATCH. C. A. T. C. H. Comprende ?

Et chiqué ? Ça, vous savez le prononcer… Pourtant, y'a deux syllabes, c'est plus compliqué que CATCH… Je crois que je vais aller chez BOULANGER. Peut-être que là-bas quelqu'un aura un peu plus de considération pour ce sport, pour les Clotheslines de Sting – bien placées dans mon classement -, et pour les télécommandes en souffrance. Je m'arrache d'ici, je tourne des talons comme dirait John Cena. Fini la politesse angélique du client sympathique en week-end !

 

Sur ces mots, j'effectue mon heel turn et prends la direction de la porte. Je sens dans mon dos le regard de Raymond et Sébastien, atterrés et stupéfaits d'avoir rencontré un être aussi passionné. Si j'avais eu le béguin pour la pêche à la truite, nul doute que Ray m'aurait apprécié à ma juste valeur. J'approche de la porte, visualisant dans le fond de mes pensées cette Corde à linge de Bret Hart sur Razor Ramon, au Royal Rumble 1993. J'avance, je recule mentalement. Bret fonce sur le Bad Guy, bras tendu. Il se jette, touche sa cible en pleine poitrine et retombe à genoux. Son buste n'a pas tourné. Il est resté bien droit, tel le tronc d'un chêne. Inamovible. Le transfert de force est parfait. Razor s'écroule et rebondit de quelques centimètres sur le tapis. Il n'a même pas besoin d'en rajouter. Le claquement n'a rien de chiqué. Il est légitimement douloureux. Il est réel. Tout autant que la furie qui s'empare de moi à l'approche de la sortie du DARTY. Ma mère, dans le verger, qui pend le linge, sur cette corde éponyme, mon père qui passe la tondeuse et moi qui reproduis le geste de Bret Hart sur un cousin de quatre ans mon cadet. Deuxième heel turn. Direction le rayon TV. Prise d'élan. Ray ou Sébastien ? Lequel viser ? Lequel sacrifier à la mémoire de la Corde à linge la plus crédible du catch, celle de Bret Hart, celle que je viens de désigner number one of all time au bout de cette conversation abrutissante. Je fonce. Je sens un slip rose me pétrir les testicules, des bottes étoilées maintenir mes chevilles, et de longs cheveux huileux me tomber sur la nuque.

À 55 ans, Ray encaisse la première Clothesline de sa vie. Lui qui pensait qu'une corde à linge était inoffensive, réservée aux femmes et au contenu de leur corbeille à chaussettes trouées, est saisi de remords. Il n'a pas respecté le kayfabe. Il n'a pas respecté le King of Sports. Il se l'est jouée journaliste de Télérama et il a morflé.

Sébastien regarde le corps de son supérieur léviter un instant. Un instant aussi court que le coït des pingouins. Sa bouche se ramollit de peur, ses pommettes se liquéfient. Le bruit du crâne de Ray qui heurte le sol déclenche un acouphène dans son oreille droite. Tout ceci est bien réel. Cette folie. Ce déchaînement de brutalité dévouée à une cause pugilistique pince jusqu'au sang la vision étriquée qu'il avait du fanatisme sportif.

Moi, je me relève.
Ray a le souffle coupé.

Son squelette a pris dix ans d'un coup. Mes yeux croisent celui de l'agent de sécurité qui sprinte déjà dans ma direction. Il tarde, les allées de DARTY sont immenses, pleines d'objets inutiles dont l'humain devrait apprendre à se passer. J'opère un troisième heel turn. BOULANGER n'est pas loin. Je projette de m'y réfugier, de m'y planquer. Le gros sac de la sécurité n'osera pas me poursuivre jusque là-bas. Les DARTYcops ne sont pas les bienvenus à la Boulangerie. Je dérape sur le sol glissant, pose un genou à terre et redémarre à fond les manettes. Je me propulse vers l'avant, esquive une grand-mère, saute par dessus une poussette et franchis la porte du magasin. L'air pur de la zone commerciale me vivifie. BOULANGER n'est plus très loin. Tel Morphée, j'ose me retourner brièvement pour surveiller mes arrières. Quelqu'un me suit. Contrairement au mythe, c'est moi qui me fige comme un Chevalier du Zodiaque. Le perdant des perdants, Sébastien, espèce de Jabu de la Licorne qui ne vaut pas une thune, galope derrière moi. Il brandit une télécommande dans un emballage de plastique. Sa voix est déformée par la mélodie d'un scooter dont le pot d'échappement n'est pas aux normes. Toutefois, je déchiffre ce qu'il me hèle :

 

« Monsieur, attendez ! Voici une télécommande neuve… Enseignez-moi…
Enseignez-moi… »

 

Le bougre, que veut-il que je lui enseigne? La suite me procure la sensation d'avoir un pingouin qui se soulage dans le creux de mon oreille :

 

« Enseignez-moi…

…ce qu'est le vrai catch ! Je serai votre discipline. »

 

Amen… Chacun sa religion !

 

 

– C'est déjà fini ?
– Désolé, j'ai tout donné, baby.
– Bon, ben je vais pendre le linge pendant que tu fumes ta clope !

 

 

Ultimate Georges Michaels
                                                                                                                                                                                                 À Trina
 

 

 

Avant cette chronique, j'étais comme ça.

 

 

Après cette chronique, j'étais comme ça.

 


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