Mort d’un top heel

Le patriotisme est votre conviction que ce pays est supérieur à tous les autres parce que vous y êtes né.

George Bernard Shaw

 

C'est un sacré cadeau que les Navy Seals ont fait au Rock pour son trente-neuvième anniversaire: l'élimination du top heel mondial, Hide and Seek Undisputed Champion depuis une grosse décennie, Oussama Ben Laden. La WWE, reflétant l'état d'esprit d'une grosse majorité de la population, a réagi à l'événement avec sa grandiloquence coutumière. Une main sur le cœur, l'autre sur la couture du pantalon.

 

 

Ouais, merci les mecs, bravo, tout ça… Mais franchement, vous auriez pu le buter il y a cinq ans, que ça coïncide avec la sortie de The Marine.

 

 

Du traitement de la mort d'Oussama Ben Laden par la WWE

 

Le patriotisme est votre conviction que ce pays est supérieur à tous les autres parce que vous y êtes né.

George Bernard Shaw

 

C'est un sacré cadeau que les Navy Seals ont fait au Rock pour son trente-neuvième anniversaire: l'élimination du top heel mondial, Hide and Seek Undisputed Champion depuis une grosse décennie, Oussama Ben Laden. La WWE, reflétant l'état d'esprit d'une grosse majorité de la population, a réagi à l'événement avec sa grandiloquence coutumière. Une main sur le cœur, l'autre sur la couture du pantalon.

 

 

Ouais, merci les mecs, bravo, tout ça… Mais franchement, vous auriez pu le buter il y a cinq ans, que ça coïncide avec la sortie de The Marine.

 

 

Du traitement de la mort d'Oussama Ben Laden par la WWE

 

 

C'est enfoncer une porte de saloon qu'affirmer que le catch, spectacle fondé sur l'opposition violente entre le Bien et le Mal, relève d’une scénarisation de la guerre. "You want a war? You have a war!" est probablement l'une des répliques les plus fréquemment entendues dans les shows de la WWE (puisque c’est d’elle qu’il sera question ici, of course). Les catcheurs se livrent des "guerres" à leur niveau: comme dans les guerres du monde réel, on assiste à des combats (les matchs); à des imprécations martiales (les promos); à des opérations commando (les attaques surprises en coulisses); et, finalement, au triomphe de l'une ou l'autre partie (quand l'ennemi, vaincu pour le compte, gît aux pieds du vainqueur). Tel est le paysage mental du catch, au moins depuis que les affrontements entre catcheurs sont régulièrement "buildés" plus seulement comme des simulacres de compétition sportive mais comme des querelles personnelles intenses.

 

 

CQFD.

 

 

Les storylines reproduisent donc les schémas des guerres du monde réel, mais évidemment en les simplifiant au maximum, ce qui est tout à fait normal. Il ne saurait être question de demander aux scripteurs de retranscrire toute la complexité des véritables guerres. Ce n'est absolument pas l'objectif du spectacle, et heureusement. Le catch réduit la guerre au plus simple dénominateur et applique à son propre fonctionnement une guerre stylisée: déclenchement des hostilités; combats; fin.

 

Tout cela ne pose aucun problème jusqu'au moment où, justement, la WWE se met en tête de parler à ses fans des vrais événements du vrai monde. Là, elle inverse la dynamique: ce n’est plus le catch qui reproduit (en la simplifiant) la guerre; c’est la guerre qui est présentée comme un show de catch. Ledit vrai monde, infiniment plus complexe que l'univers enfantin de Stamford, est alors présenté à travers le bout de la lorgnette catchesque: des heels, des faces, des combats, et le gentil qui gagne à la fin.

 

Et ça, ça pose problème. La WWE arrive avec ses gros sabots dans le champ ô combien embrouillé de la politique mondiale et expose une vision du monde forcément basique. A son petit niveau, elle contribue à la diffusion d’un discours consternant de manichéisme et d’auto-glorification, alors que le sujet ne s'y prête guère. Ce qu’on a pu constater, une fois de plus, dans sa réaction à la plus grande nouvelle du dimanche 1er mai après les débuts de Kharma.

 

 

Youpi! On a fini par avoir Kayser Soeze!

 

 

Les raisons pour lesquelles l'entreprise formerly known as World Wrestling Entertainment se pique de traiter de politique intérieure et extérieure sont bien connues: elles tiennent principalement à la volonté farouche de Vince McMahon de donner à certains de ses catcheurs des personnalités faciles à identifier (lui c'est le gentil patriote américain et lui c'est le méchant étranger, dialectique particulièrement vivace dans les années 1980) et, plus récemment, à conférer à sa boîte une image de compagnie citoyenne, en phase avec les intérêts du pays et avec les aspirations de sa population, respectable, quoi.

 

Ce sujet a déjà été amplement abordé dans nos colonnes, et je renvoie les nouveaux lecteurs aux articles que nous avons consacrés au rapport de la WWE à la politique intérieure des États-Unis et à la politique extérieure du pays, mais aussi, pour les aspetcs plus sociaux, à son traitement des catcheurs noirs, à sa gestion des ressorts homophobes ou encore à son récent changement de nom. Dans le présent article, il ne s'agit pas de comprendre pourquoi la WWE a réagi comme elle l'a fait à l'annonce de la mort de Ben Laden (ça, on sait), mais surtout de montrer ce qu'il y a de gênant dans ce déluge de bannières étoilées.

 

 

Faut dire ce qui est, ça rend le maillot des Chicago Bulls complètement importable.

 

 

Rappelons en quelques mots de quoi s'il s'agit. Oussama Ben Laden a été tué dans la nuit de dimanche à lundi dernier au Pakistan, donc en fin de soirée à l'heure américaine. Après la fin d'Extreme Rules, John Cena a annoncé la nouvelle au public, employant pour l'occasion ce langage militaire qui tient autant de la langue d'Esope que des pesanteurs bureaucratiques et d'une pudeur assez comique vis-à-vis de la mort: après avoir rappelé qu'il rend depuis des années hommage aux courageux héros qui défendent notre liberté au prix de leur vie, le Marine a déclaré que Ben Laden avait été "compromised to a permanent end" — annonce provoquant l'explosion de joie que l'on imagine dans l'assistance, une fois qu'elle eut compris ce que cela signifiait.

 

 

L’individu suspect a fait l’objet d’une procédure classique d’interception à visée interpellatoire et opposé une résistance armée aux représentants des forces de l’ordre, suite à quoi les fonctionnaires n’ont eu d’autre choix que de se servir de leurs armes de service, infligeant à l’individu suspect plusieurs blessures par procédé balistique dont le caractère s’est révélé létal.

– Hein?

– OK, je recommence: ON A BUTÉ CE FILS DE PUTE!

– OUAAAAAAAIS!

 

 

Cette séquence a été diffusée pendant le Raw du lendemain. Entre-temps, la WWE avait eu le temps de s'organiser. Du coup, lundi soir venu, un Raw normalement consacré à remercier le Seigneur d'avoir inventé Dwayne Johnson s'est vu ajouter une tonne ou deux de patriotisme extatique.

 

Avant même le générique, on eut droit à des images des attentats commis à New York le 11 Septembre 2001. Fond sonore: le discours prononcé ce jour-là par le président George W. Bush, lequel apparaît plusieurs fois à l'écran entre deux photos de tours en flammes.

 

 

Mes chers compatriotes… allumez vite la télé, c’est ouf!!!

 

 

Les violons se superposent rapidement au discours présidentiel au moment où, après les photos des attentats proprement dit, arrivent celles des pompiers tenant le drapeau dans les décombres du World Trade Center. Le discours de Bush se termine par un appel à ses concitoyens à retourner au travail afin de montrer aux terroristes que l'Amérique est toujours debout. Cut, et illustration: voici le Smackdown commémoratif du 13 septembre 2001, à Houston. Vince McMahon déclare qu'il s'agit-là de la première réunion publique de cette ampleur dans le pays depuis la tragédie. Drapeaux, hymne interprété par Lilian Garcia, promo patriotique d'un JBL dans sa période Bradshaw, militaires décorés au premier rang, tout le roster de sortie. "Tonight, the spirit of America lives here", rugit Vince, qui ajoute ensuite un passage sur la fierté nationale. Fondu au noir, et on arrive au show de ce soir: Justin Roberts invite le public à se lever pour écouter l'hymne national, toujours chanté par Lilian. Les chants USA! USA! explosent à la dernière note. Lilian, dans le ring, crie USA! USA! le poing levé. Standing ovation, applaudissements. Et enfin, le générique de Raw.

 

 

S’il n'avait pas été aussi con, c’est ici que Ben Laden aurait commis son attentat: c’est là que se trouvait l’esprit de l’Amérique!

 

 

On a donc eu cinq minutes de commémoration avant que le show commence. Mais ce n'est pas fini. La première phrase de Michael Cole donne le la: "The biggest party in the history of television celebrates our country's patriotism and the Rock's birthday." L’élimination de Ben Laden devient donc "our country's patriotism", fort bien. Le Rock arrive sur ces entrefaites et après avoir laissé s'éteindre les cris "Rocky! Rocky!", prend le micro et déclare que, "avant de commencer", il a une chose à dire: "We got him!"

 

 

IF YOU SMEEEEELLL WHAT SATAN IS COOKING!

 

 

La foule réagit avec la joie que l'on imagine avant de partir dans une nouvelle salve de USA! USA! On aperçoit un panneau détournant l'une des punchlines du Rock: "FINALLY Obama got Osama!" Suite à quoi le Rock, empruntant à son adversaire de feud le registre "nos soldats sont des héros", se fend d'un discours en l'honneur des soldats "fiers et sans peur qui se battent sans relâche pour notre grand pays", nous apprend qu'il est fier des membres de sa famille qui sont fiers de servir dans l'armée, qu'il est fier de l'unité des Navy Seals qui a flingué Ben Laden et qu'il est damn fier d'être américain. Puis le Rock déclare qu'il n'y a qu'un moyen de démarrer la soirée: il va lire le serment d'allégeance à la Constitution, et tout le monde va le lire à voix haute avec lui. Ce qui est fait dans l'allégresse et la damn proud émotion. Le show peut donc reprendre, ou plutôt commencer — non sans qu'on ait droit, un peu plus tard, à la diffusion de la séquence de l'après-Extreme Rules sus-mentionnée. Au total, une vingtaine de minutes a été consacrée à la mort de Ben Laden.

 

 

Les vrais Américains fiers d’être Américains se font carrément graver le serment d’allégeance dans la paume de la main pour ne jamais l’oublier.

 

 

En soi, il n'est pas choquant qu'un show de catch décide de réagir à un événement d'actualité. Après tout, les catcheurs sont censés être des hommes normaux, qui vivent dans le même monde que nous. Dans leurs promos, ils font d’ailleurs régulièrement référence à l'actualité — généralement sportive ou sous-culturelle, il est vrai. S'il est admis qu'un catcheur puisse mentionner le transfert de LeBron James, le dernier délire de Charlie Sheen ou l'accoutrement de telle ou telle vestale du RnB à une soirée de gala, pourquoi ne parlerait-il pas de l'élimination d'Oussama Ben Laden? Mais ce qui est gênant, ce n'est pas le fait que cet événement ait été abordé. C’est la façon dont il l'a été.

 

Tout au long des dix dernières années, la WWE s'est faite le porte-voix du discours "faucon" de l'administration Bush et a applaudi de toutes ses extrémités aux interventions militaires en Afghanistan et en Irak. Elle a aussi repris à son compte le discours néo-conservateur sur la "guerre au terrorisme": les soldats américains sont "des héros" qui "se battent  pour notre liberté" et nous devrions tous être "damn proud de ces fine men and women". Vraie adhésion à cette vision du monde ou opportunisme politique? La réputation de filouterie de Vince dépasse celle de son patriotisme bêlant, si bien qu'on serait tenté d'aller vers la seconde option, d'autant plus que l'idée géniale d'organiser des "Tribute to the Troops" à partir de 2003 a largement amélioré l'image domestique de la WWE, qui a enfoncé le clou avec les très martiaux Marine I et II.

 

Sans répéter ce que Reune a si bien écrit dans La Géopolitique selon Vince, rappelons d'un mot que les personnages du méchant Arabe Mohammad Hassan et des pleutres Français de la Résistance étaient tout à fait dans l'air du temps au mitan des années 2000. La WWE reprend alors la dichotomie chère à George W. Bush et sa stable (Cheney, Rove, Perle, Wolfowitz, etc.): le Bien, ce sont les États-Unis d'Amérique (et à la rigueur leurs alliés, très peu mentionnés: s'agirait pas non plus de rappeler que la France, ce pays de surrender monkeys, a envoyé un important contingent en Afghanistan); le Mal, c'est dans le même souffle Oussama Ben Laden et Saddam Hussein, leurs terroristes, leurs armées et leurs alliés objectifs (à savoir tous les pays qui n'ont pas rejoint la très hétéroclite Coalition of the Willing, puisque ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous).

 

Tout va alors pour le mieux dans le meilleur des mondes: l'administration de Washington présente les réalités internationales d'une façon aussi binaire qu'un show de catch: nous les gentils, eux les méchants, on va les taper. Les Tributes to the Troops offrent chaque année, à l’approche de Noël, une occasion en or d’encenser les Boys (voir à ce sujet l’article que nous avons consacré à l’édition 2009 et, spécialement, les captures très parlantes des commentaires de WWE.com).

 

 

– Les gars, je vous admire. Vous êtes des héros. Hustle, Loyalty, Respect, vous incarnez ces notions au plus près de leur sens profond. Tout Américain qui se respecte vous envie et vous acclame.

– Hé John, tu sais que tu peux t’engager si tu veux, hein!

– …

 

 

Mais l'arrivée à la Maison-Blanche de Barack Obama change un peu la donne. Oui, les USA, ce meilleur pays du monde, ce pays viril dont les habitants viennent de Mars tandis que les tafioles européennes sont originaires de Vénus, ce pays qui s'est levé héroïquement pour défendre le monde libre… a porté à sa tête un type qui avait voté contre l'entrée en guerre en Irak. Et qui s'empresse de transférer aux autorités irakiennes autant de prérogatives que possible. Et qui annonce rapidement le prochain retrait des troupes d'Afghanistan. Aïe. Ce type a beau être un sale padchénou (d’ailleurs Donald Trump, grand ami de Vince, attaque Obama sur ce dossier et se prend dans les dents un magistral retour de bâton invoquant, ironie, les mânes de Hulk Hogan), il a quand même été élu, et sans gruger en Floride. C'est donc que le pays a changé. C’est donc qu'il faut un peu changer son fusil d'épaule, c'est le cas de le dire. Signe des temps, le Tribute to the Troops 2010 a eu lieu dans une base militaire du Texas. Fini les tournées au Moyen-Orient…

 

A ce propos, il est savoureux de noter qu'entre 2003 et 2009, six Tributes to the Troops ont été organisés en Irak, et un seul, celui de 2005, en Afghanistan. Pourtant, la guerre d'Irak, très critiquée dans le monde entier mais aussi à l'intérieur des USA dès son déclenchement sous un prétexte fallacieux, est une cause bien moins consensuelle que l'intervention en Afghanistan, qui visait à déloger Ben Laden et compagnie d'un pays dont le régime taliban n'était alors reconnu par pratiquement aucun État du monde. Ah, rien à péter. Irak, Afghanistan, quelle différence? Nos boys se battent héroïquement là-bas pour notre liberté, puisqu’on vous le dit… Alors on y va et on s’incline devant leur sacrifice héroïque, point barre. On va pas se compliquer la tête non plus, merde. On est la WWE, on est l’Amérique, on est les Faces, les heels on les déglingue.

 

 

Heu… Allez, au pif: ANCHORAGE, ALASKA, WHAT'S UP?!

 

 

Et voilà donc que, enfin, ce 1er mai 2011, on apprend que nos Boys héroïques ont fini par avoir le salopard en chef. Dans la vision de la WWE, c’est très simple: on a buté leur chef, on a gagné. D’où l’hymne, le serment d’allégeance à la Constitution, les violons et tout le tralala. La WWE a réagi exactement comme si l’Amérique venait de remporter une guerre contre un État ennemi qui aurait signé sa reddition inconditionnelle. Mais le 1er mai 2011 n’est pas le 8 mai 1945. C’est un peu plus compliqué que ça, les gars. Juste un peu. L’Amérique s’est engagée dans deux guerres meurtrières aux résultats pour le moins incertains et dans lesquelles elle aurait perdu son innocence si celle-ci avait survécu au Vietnam. Le 11 Septembre a été une tragédie, qui a été suivie par beaucoup d’autres. Se battre le poitrail en hurlant USA!, comme la WWE l’a fait pendant dix ans et encore lundi dernier, est aussi puéril qu’inapproprié et, lâchons le mot, indécent eu égard au nombre de vies humaines détruites par Ben Laden puis par tout ce qui a été entrepris au nom de la chasse à Ben Laden.

 

Si tu ne m’as pas encore lâché, lecteur, prends ta petite souris et clique sur tous les merveilleux liens qui arrivent, histoire de te remettre en mémoire les glorieuses dix années passées.

 

Le but initial de l’intervention en Afghanistan était de mettre fin aux activités d'Oussama Ben Laden (et une proximité fantaisiste entre Al-Qaïda et le régime de Bagdad a été évoquée deux ans plus tard au moment de déclencher les hostilités contre l’Irak, si bien que de nombreux Américains croient dur comme fer que Saddam Hussein était mêlé aux attentats du 11 Septembre). Ces deux guerres ont fait des centaines de milliers de morts civils locaux et 5885 morts américains, dont 4424 en Irak, sans parler des norias d'estropiés. Par ailleurs, l'invasion de l'Irak en 2003 a donné un coup de boost inespéré à une Al-Qaïda aux abois (voir Al-Zarqawi, Moussab, dans le grand dictionnaire des monstres de notre temps; voir, aussi, les franchises ouvertes par "la Base" un peu partout dans le monde musulman, du Maghreb à l'Indonésie).

 

Tout cela valait-il le coup, si le but était de dessouder Ben Laden? Ce dernier a finalement été descendu non pas à l'issue d'une vaste campagne militaire en Afghanistan (ou a fortiori en Irak, pays où il n'a jamais foutu les babouches) mais via un raid de commando au Pakistan… Pendant ce temps, en Irak et en Afghanistan, la violence demeure très élevée. L'islam politique le plus obtus y constitue aujourd'hui une force politique de premier ordre. Les talibans contrôlent une bonne partie de l'Afghanistan et apparaissent désormais comme des interlocuteurs inévitables du régime faible et corrompu mis en place par les Américains à Kaboul. L'Iran des mollahs a largement infiltré son voisin irakien. Les images des Boys ricains guerroyant sur des terres musulmanes ont suscité des vocations djihadistes un peu partout sur la planète. Ces mêmes Boys (sans oublier les mercenaires présents en nombre sur le terrain) se sont rendus coupables de tout un tas de bavures effrayantes, sans oublier de faire mumuse à la prison d'Abou Ghraïb. Guantanamo a mis un sacré coup à l'image de l'Occident dans son ensemble. Ah oui, et ces guerres ont coûté des billions (ET BILLIONS) de dollars

 

Pour résumer, la vengeance d'une Amérique meurtrie par le carnage du 11 Septembre a été affreusement sanglante, largement amorale, terriblement onéreuse et géopolitiquement douteuse. Quoi que la WWE, qui a épousé avec enthousiasme le récit dominant, ait pu en dire pendant des années.

 

Mais peu importe, les interventions se justifiaient puisque finally, FINALLY, we got him.

 

 

Et c’est ce sale musulman communiste qui a le même nom que Ben Laden qui a réussi le coup en plus, la rage.

 

 

Alors oui, là aussi, on ne peut évidemment pas demander à la WWE de transmettre dans son show toute la complexité qui entoure cette question. Et l'élimination, après dix ans de recherches, d'un chef terroriste responsable de milliers de morts (en Amérique mais aussi dans de nombreux autres pays du monde) est indéniablement un événement positif. Mais de la même façon que la guerre est chose trop sérieuse pour être laissée aux militaires, comme disait Clemenceau (merci Julius pour la correction yes), elle est aussi chose trop sérieuse pour être laissée à la WWE. L'arrivée aux affaires de l'administration réaliste d'Obama, suite au conglomérat à la fois idéaliste et affairiste de l'époque Bush, avait permis de dépasser la vision enfantine déployée jusqu'alors d'un Empire du Bien assiégé par les forces du Mal. Avec sa rhétorique volontairement simpliste ("We're gonna get these guys!"), Bush avait fait sienne une vision quasi-WWEsque des réalités mondiales. Obama, souvent présenté comme un cérébral froid, a initié un discours d'en haut à tonalité bien différente. D'ailleurs, Obama a réagi à l'annonce de la mort de Ben Laden avec une gravité tranchant singulièrement avec le triomphalisme béat de Bush après la chute du régime de Saddam Hussein. Le phénomène du djihadisme international est complexe, la nébuleuse Al-Qaïda est très hétéroclite, le monde n'est pas nécessairement devenu plus sûr avec la disparition de Ben Laden. Les presque dix ans passés depuis l'attaque ont été constellés d'erreurs tragiques. La fin de Ben Laden est certes une victoire, mais la très floue "guerre au terrorisme" est loin d'être gagnée. Obama le sait, et une bonne partie de ses concitoyens aussi.

 

Que les Américains, profondément meurtris par le cauchemar vécu le 11 septembre 2001, se réjouissent de la mort de cet assassin de masse, ce n'est que normal (et même là-bas, les questionnements ne manquent pas concernant les circonstances exactes de l'assaut et la moralité qu'il y a à se féliciter de la mort sans procès d'un homme, aussi couvert de sang qu'il soit). Mais il aurait été de bien meilleur goût de la part de WWE de ne pas présenter l'élimination du leader d'Al-Qaïda comme le triomphe du "patriotisme" américain. Car ce patriotisme-là, celui dont Vince s'est fait l'apôtre depuis au moins dix ans, c'est la version bas du front et caricaturale d'un patriotisme raisonné. C'est un patriotisme bêlant, main sur le cœur et admiration aveugle envers l'armée, ce patriotisme perverti qui assimile la patrie à son gouvernement et à ses conflits armés, quels qu'ils soient. C'est un patriotisme qui a présidé à huit ans de bushisme et dont le résultat, catastrophique, n'est certainement pas rééquilibré par le fait que le top heel ait fini par se faire avoir.

 

C'est entendu, les Américains ont un rapport à leurs symboles nationaux qui n'est pas le même qu'en France, loin s'en faut. Mais il y a un monde entre la prise en compte de ce fait et l'acceptation de n'importe quelle expression de ce patriotisme, spécialement quand les sentiments de peur ou de soulagement sont froidement instrumentalisés.

 

On n'attendait aucune manifestation de décence de la part de Bush et des siens sur ce sujet (d'ailleurs, ils ont fini par trouver un prétexte pour pavoiser, expliquant qu'Oussama a été découvert grâce à eux puisqu'ils ont torturé ses camarades); mais la WWE aurait très bien pu se contenter du "We got him!" du Rock et à la rigueur de la diffusion de la séquence Cenaesque d'Extreme Rules. Personnellement, je n'aurais rien trouvé à y redire. C'aurait été court et, en quelque sorte, modeste: la WWE aurait ainsi reconnu que ce genre de thèmes la dépassent. Il n'y a pas de honte à cela: la WWE n'est ni un think tank, ni une agence gouvernementale, ni un média politique. Si elle s'était bornée à se féliciter publiquement de l'opération des Navy Seals avant de passer à son show, elle aurait été dans son rôle.

 

 

– We got him!

Qui ça, le titre WWE?

 

 

Or ici, avec le combo montage inaugural / hymne / serment, on a vu la WWE puiser avec fierté dans son passé cocardier. Comme si le gouvernement et avec lui la WWE, fidèle suiveuse, avait eu tout bon depuis le 11 septembre 2001, comme s'il avait fallu toute cette horreur pour en arriver là, comme si l'armée, les décideurs (il est d'ailleurs remarquable qu'on ait eu droit au discours de Bush du 11 Septembre mais pas à celui d'Obama post-élimination de Ben Laden) et la WWE avaient eu raison sur toute la ligne depuis le départ. Et l’ambiance festive du show n’a pas permis à l’interprétation de l’hymne d’atteindre le degré d’émotion que la situation aurait mérité, à l’inverse de la sublime scène finale du meilleur film sur la guerre du Vietnam, Voyage au bout de l’enfer, où un groupe d'amis dévasté par la guerre entame un "God bless America" teinté de doute et de douleur.

 

Je me rends compte que ce post est assez décousu, mais finalement ce manque de structure correspond assez au sentiment de malaise qu'on a été nombreux à ressentir face au déferlement de contentement niais infligé à Raw. Le monde est trop compliqué pour la WWE. Qu’elle cesse de le passer à la moulinette de sa vision primitive, et on lui en sera reconnaissants.

 

Juste pour que ce soit clair, je n’entends aucunement faire ici de l’American-bashing de base. Bon, c’est vrai qu’ils sont teubés, qu’ils ne voyagent jamais à l’étranger et qu’ils ne comprennent au monde que ce qui est assimilable par des esprits nourris à la télévision depuis des générations. Mais ils sont quand même sympas, pour la plupart. Seulement, quand ils affichent ce contentement enfantin d’être Américains, avec pour corollaire une certitude désarmante de toujours se trouver du bon côté de l’histoire, ils ne manifestent pas leurs meilleures qualités…

 

 

Nous avons tout en commun avec l’Amérique. Excepté, bien sûr, la langue. Oscar Wilde.

 

 

Je ne parle même pas du fait que le premier W de WWE est censé avoir une signification, quand bien même le sigle doit désormais se suffire à lui-même. Si encore l'orgasme collectif de tous les citoyens des US of A avait été réservé  à la partie house show de la soirée… mais ce Raw diffusé dans des dizaines de pays a été, serment d'allégeance à la Constitution de 1776 compris, complètement centré sur l'Oncle Sam (et, j'insiste, sur la vision extraordinairement primitive que la WWE donne de l'Amérique sur ce genre de questions). Les 3000 victimes du 11 septembre, les centaines de milliers de morts qui ont suivi, les mutilés, les familles ne devraient être instrumentalisés ni par les politiques ni a fortiori par une entreprise de spectacle à but lucratif, mais se voir honorés d’une façon qui dépasse largement les compétences et les prérogatives de la WWE. Just my two cents.

 

 

Et puis surtout, ça a failli faire de l’ombre au vrai événement de la soirée, merde!


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