[Décryptonite]
Bet I can make you smile when the blood, it hits the floor.
Bruce Springsteen, The Wrestler, bande originale du film.
Analyse de “The Wrestler”
[Décryptonite]
Bet I can make you smile when the blood, it hits the floor.
Bruce Springsteen, The Wrestler, bande originale du film.
Analyse de “The Wrestler”
Chroniqueur ciné aux Cahiers du catch tient du sacerdoce puisque la tâche consiste à se fader tous les navets de WWE productions, ligoté à son fauteuil et les yeux ouverts de force comme dans Orange Mécanique. Mais Antoine Adam a enfin eu droit à un moment de grâce: il a vu “The Wrestler”. Raconte-nous ça, Tony.
Mickey Rourke est un acteur exceptionnel. C’est enfoncer une porte ouverte à coups de sledgehammer que de le dire, mais ses détours par la boxe, son visage ravagé et ses choix de carrière depuis son retour au cinéma auraient pu le faire oublier. Bad guy face à Van Damme et Dennis Rodman dans l’affreux “Double Team”, bad guy face à Stallone dans l’horrible “Get Carter”, seconds rôles à droite et à gauche. C’était la grosse lose. Heureusement, The Wrestler remet les comptes à zéro.
Quoi ma gueule, qu’est-ce qu’elle a ma gueule?
Parce qu’on l’avait presque oublié, le Mickey Rourke de “Rusty James” ou de “L’Année du Dragon”, cet acteur capable d’accaparer l’écran, de porter un film presque à lui tout seul. Certes, depuis des années il vivotait entre diverses productions insignifiantes, trouvant là matière à payer ses sorties nocturnes sans fin et à nourrir ses innombrables chihuahuas. Pourtant, il y avait de quoi regretter que personne n’essaye de lui proposer un rôle à la mesure de son talent. Trop risqué au goût de producteurs toujours plus frileux, de banquiers et d’assureurs à la mentalité… de banquiers et d’assureurs. Il fallait bien Darren Aronofsky, réalisateur talentueux et pas dénué d’ego, pour réussir à convaincre tout ce petit monde de miser sur un acteur déchu. L’acteur le premier, d’ailleurs. Le résultat n’en est que meilleur.
Et grâce à mon cachet, j’ai pu m’acheter encore plus de chihuahuas.
Comme pour son dernier film, “The Fountain”, Aronofsky a voulu mêler les niveaux de lecture. Devant “The Wrestler”, le spectateur est toujours en train de se demander ce qu’il voit: Randy “le bélier” Robinson, catcheur fatigué qui a foiré sa vie dans les grandes largeurs, ou Mickey Rourke en personne, grimé en catcheur peroxydé. Cela n’aurait sans doute pas fonctionné avec n’importe quel autre acteur oublié. L’intensité que met Rourke à jouer son personnage rend The Ram parfaitement crédible, et pourtant, ce visage détruit et remodelé si caractéristique nous ramène toujours à cette interrogation première. Les parcours de Robinson et de Rourke sont identiques, leur déchéance est commune: les années 1990. Le dernier grand film de Rourke, “Barfly”, datait de 1987. Le combat légendaire de The Ram contre l’Ayatollah remonte à 1985. A partir de là, tous deux ont entamé une lente descente vers l’anonymat et l’oubli.
Et au grand désarroi des kids du quartier, the Ram n’est même pas dans Raw vs Smackdown 2009!
Le film ne prend pas la peine de nous montrer la période dorée de Randy Robinson, si ce n’est dans un générique où se mêlent articles de journaux et bruits de foule en délire. Tout ça, c’est du passé, des mots sur du papier jauni et des cris qui résonnent dans des salles vides. Randy est désormais un catcheur en semi-retraite, manutentionnaire pendant la semaine. Il ne vit plus sa passion que le week-end, dans de petites salles. Il voyage dans son mini-van miteux pour rentrer fourbu et perclus de douleurs dans son trailer park minable où, comble de la déchéance, il a du mal à payer le loyer. La vie n’est vraiment pas rose, c’est le moins qu’on puisse dire.
OK, c’est pas le meilleur job du monde, mais j’ai le droit d’emporter 100 grammes de saucisson chez moi tous les soirs.
Un réalisateur moins talentueux que Darren Aronofsky aurait pu faire de ce synopsis un film lourd, sortant les violons à la moindre occasion et noyant son personnage principal dans un océan de pathos moral comme Hollywood sait si bien le faire. Pourtant, jamais il ne se laisse aller à la facilité de présenter le Ram en héros. Aronofsky ne prend pas de gants et nous montre un Randy faillible, drôle, détestable, courageux, touchant, orgueilleux… Il en va de même pour les autres personnages du film. Marisa Tomei, strip-teaseuse dont le parcours n’est pas sans rappeler celui de Randy, n’est pas la bécasse au coeur d’artichaut typique des productions américaines, qui se dénude en attendant de trouver le grand amour. C’est une femme forte qui a sans doute laissé passer sa chance, qui doute et qui survit.
On remarque au passage qu’une stripteaseuse est généralement plus habillée qu’une diva de la WWE.
Aronofsky, dont on aurait pu craindre qu’il se lance dans un réalisation stylisée comme ça avait été le cas pour “Requiem For A Dream” ou “The Fountain”, fait au contraire preuve de beaucoup de retenue. Il emprunte beaucoup au style européen, les couleurs et les cadres pouvant parfois même rappeler la “Rosetta” des frères Dardenne. Le quotidien des personnages évoque ainsi le documentaire. Que ce soit quand Randy se procure des stéroïdes ou quand il va acheter un cadeau pour sa fille en compagnie de Cassidy la strip-teaseuse, on est véritablement plongé dans la vie des ces personnages qui, magnifiquement interprétés par un casting très réussi, prennent littéralement vie à l’écran. Les sentiments qu’ils éprouvent et les épreuves qu’ils traversent touchent vraiment, sans chichi et sans emphase, de manière tout à fait humaine.
Vous avez appelé SOS Amitié, ne quittez pas, un conseiller va prendre votre appel.
Et que dire des scènes relatives au monde du catch! On est bien loin des storylines abracadabrantesques de la WWE. Il faut voir cette scène où, avant une grande soirée de combats, les catcheurs préparent leurs oppositions tous ensemble. Pas d’entraînement particulier, pas de répétition, ils dressent simplement les grandes lignes de ce qui ne reste qu’un spectacle où la personnalité des combattants joue un plus grand rôle que leurs prouesses physiques, essayant d’éviter la redite pour plaire à un public roi. C’est peut-être là que le film est le plus réussi, dans sa démonstration du spectacle comme d’un calvaire offert à un public jamais rassasié et à la mémoire courte. Randy Robinson souffre et se taillade volontairement pour se rappeler à un public qui ne demande rien de mieux qu’à l’oublier. Aronosfky le filme souvent de dos hors des combats, façon évidente de montrer que sa vie est derrière lui et qu’il court après une chimère. Celle de l’immortalité d’un personnage fictif qu’il a créé de toutes pièces dans les mémoires de spectateurs insatiables et ingrats, à défaut de sa propre image dans le souvenir des êtres qui l’ont aimé.
Tout à fait, Antoine.
“The Wrestler” ne fera certainement jamais partie de la vidéothèque de Vince McMahon. Le big boss de la WWE l’a d’ailleurs admis sans problème: il n’a pas aimé le film. Et cela peut se comprendre tant le personnage incarné par Mickey Rourke est à l’opposé du monde bigger than life de Smackdown ou Raw. Mais il est beaucoup plus real life, ce qui n’est pas la dernière qualité du film…
En effet. La dernière qualité du film, c’est qu’il expose crûment l’arrogance sans fin de ces prétendues légendes prêtes à tout pour obtenir un dernier passage sur le devant de la scène et se faire applaudir d’un public d’hypocrites incapables de comprendre qu’ils se font mener par le bout du nez par ces pitoyables vieillards incapables de savoir quand il est temps de s’arrêter et…
Oui, merci Chris, on a compris.