Vengeances sans frontières

« Quand le déshonneur est public, il faut que la vengeance le soit aussi. »

Beaumarchais, Le Mariage de Figaro.

La route de l’enfer est pavée de gros gnons dans la gueule.

Analyse de Raw du 23 février 2009

Deux thèmes majeurs ont dominé l’excellent épisode de Raw de lundi dernier: celui de la vengeance et celui de l’effacement des frontières entre les divisions. Commençons par ce dernier aspect, qui implique une modification profonde de la situation à la WWE: la distinction entre Raw et Smackdown n’a pratiquement plus de signification, du moins pour les main eventers. Toute à son désir de bâtir un Wrestlemania excitant (le plus grand show annuel aura lieu le 5 avril à Houston), la creative team a décidé, sans l’officialiser, de quasiment mixer les divisions. La logique en pâtit, mais l’intrigue y gagne.

Si on s’est habitué depuis longtemps à considérer la troisième division de la WWE, à savoir l’ECW, comme une sorte de poubelle de la fédération — même si la récente arrivée de Christian, l’émergence de Swagger et le prochain retour de blessure du scintillant Evan Bourne lui redonnent du lustre —, la distinction entre le Raw du lundi et le Smackdown du vendredi était jusqu’à présent bien respectée. Depuis la draft de l’été dernier, les affrontements étaient strictement internes à chacune des divisions. Si bien que les possibilités d’affiches pour Wrestlemania étaient réduites: jusqu’au récent No Way Out, on s’attendait à voir au Texas un main-event à Raw pour le World Heavyweight Championship (probablement Orton-Cena) et un à Smackdown pour le WWE Championship (sans doute Triple H – Edge). Mais la rouerie d’Edge a rebattu les cartes, puisque après le hold-up commis par le Canadien à No Way Out (lire ici notre analyse), les deux titres se trouvent à présent entre les mains de Smackdowners: Edge est World Heavyweight Champion et Triple H est WWE Champion.

Résultat: Cena (Raw) veut absolument récupérer son titre des mains d’Edge (Smackdown); dans le même temps, les storyliners ont décidé de bâtir une feud du tonnerre de Dieu entre Orton (Raw) et Triple H (Smackdown); et comme nul ne sait combien de temps encore les vieilles carcasses quadragénaires de Shawn Michaels (Raw) et de l’Undertaker (Smackdown) les porteront, leur tant attendu combat aura lui aussi lieu à Mania (pour ceux qui ont passé les vingt dernières années sur Saturne, rappelons que le Taker a remporté les 16 matchs qu’il a livrés à Wrestlemania, tandis que le Heratbreak Kid Michaels est surnommé Mister Wrestlemania pour ses multiples exploits lors de cette réunion; et les deux ne se sont jamais affrontés à Wrestlemania. Il était temps).

Take my breath away…

Trois affrontements Raw-Smackdown pour les trois plus grosses affiches, donc (bon, rien n’est officiel, mais ç’a vraiment l’air de se goupiller comme ça). Et deux autres gros combats ne seront pas intra-divisionnels non plus: il y aura sans nul doute une castagne entre Chris Jericho (Raw) et quelque « légende » retraitée (possiblement Steve Austin en personne, qui sera la veille intronisé au Hall of Fame); et le désormais traditionnel Money in the Bank match impliquera huit catcheurs issus des deux divisions. Quand on y ajoute qu’il n’y aura vraisemblablement pas de défense des titres mineurs (Intercontinental Championship, disputé à Raw, et US Championship, disputé à Smackdown) puisque leurs tenants seront dans le MITB match, on constate que la distinction entre les deux brands est désormais purement temporelle: Raw, c’est lundi et Smackdown c’est vendredi. Point. Le seul match prévu à WM entre deux membres d’une même division sera le combat fratricide des Hardy — et encore, Matt vient à peine de débarquer à Smackdown en provenance de l’ECW.

Shane McMahon tentant de distinguer Raw de Smackdown.

Histoire de bien faire comprendre que la distinction n’avait plus lieu d’être, la WWE a eu la brillante idée de promouvoir la stridente Vickie Guerrero, déjà General Manager de Smackdown, GM de Raw par intérim en attendant le retour de blessure de Stephanie McMahon, qu’Orton a RKOisée la semaine dernière. On ne dira jamais assez à quel point Vickie excelle dans son rôle de GM à la fois calculatrice et hystérique. Nous avons d’ailleurs pris l’habitude d’employer son gimmick EXCUSE ME!!! dans la vraie vie — et croyez-nous, ça vaut le coup de le tenter dans une réunion de famille. L’épisode de Raw de ce lundi a donc été conduit par la GM de Smackdown, et a vu débarquer pas moins de cinq stars du show du vendredi: Edge, le Big Show, Chavo Guerrero, Vladimir Kozlov et Triple H. Ceux-ci ont pratiquement monopolisé l’antenne. Et le principal face de Raw, Cena, a promis de venir saouler Vickie à Smackdown vendredi prochain. Les frontières se sont effacées, et le vieux rêve de retour à une division unique miroite à nouveau à l’horizon…

La Reine de la Nuit en plein récital.

De notre point de vue, tous ces choix se justifient amplement. D’abord, Orton – HHH, sur la base d’un affrontement de familles (la jeune garde de la Legacy, relève de leurs glorieux parents, défie la famille régnante), a tout pour être intense, effrayant et tendu — à condition, bien sûr, d’être mené avec justesse. Rien ne serait pire que de voir semaine après semaine l’héroïque et solitaire HHH poursuivre de son juste courroux le couard trio de jeunes blancs-becs dont le leader a agressé sa bien-aimée Stephanie. D’ailleurs, la séquence de fin du Raw de ce lundi était à l’extrême limite de l’acceptable: voir les trois jeunes s’enfuir en panique face au barbare HHH, au point de ne même pas se servir des armes à leur disposition quand elles leur tombaient dans les mains, voilà qui sape quelque peu leur crédibilité de méchants pas beaux impitoyables. A trois contre un, on aurait pu s’attendre à au moins un peu de résistance au lieu d’une fuite éperdue (joliment tournée cela dit). Orton, qui a déjà perdu une part de son aura du fait des difficultés qu’il a éprouvées à se défaire de Shane McMahon, doit absolument apparaître comme une vraie menace pour Triple H, et pas comme un punching-ball sur pattes. Il reste cinq semaines d’ici Wrestlemania, il s’agira de les meubler correctement en alimentant l’histoire.

Le déroulement le plus probable est de voir Orton jeter en pâture à un HHH assoiffé de vengeance ses deux comparses dans des matchs à un contre un. On parle également de la possibilité de voir la Legacy s’enrichir d’un quatrième membre, nécessairement un gros balèze. Puisque le nouveau venu devra forcément avoir du sang bleu, la liste est courte: ce pourrait être le jeune et inexpérimenté fils du regretté British Bulldog, DH Smith, qu’on n’a pas encore vu à la WWE; ou pourquoi pas Umaga, qui est récemment revenu de blessure et enchaîne depuis les squashes sans intérêt. Umaga est à Smackdown alors que la Legacy est à Raw, mais on a bien capté que tout cela ne signifiait plus grand chose. Espérons dans tous les cas que les prochaines semaines verront au moins un bon beating de la Legacy sur HHH, qui a parfois tendance à se booker comme un peu trop indestructible: quand on voit comment les McMahon ont joué Shane face à Orton, on se dit que si les proportions sont respectées, HHH fera du beau Randy de la purée de cervelle. Prions pour que le potentiel de cette belle feud (avec peut-être à la clé un passage de flambeau de l’éternel Trips au sémillant Orton?) ne soit pas gâché dans les prochaines semaines…

Randy Orton en balade à Paris, avenue Mac Mahon.

Parallèlement, le programme Cena-Edge paraît lui aussi alléchant. Les deux gars ont sorti une très bonne perf au micro ce lundi. Face à la rage de la feud Orton-HHH, celle-ci est plus légère, les deux protagonistes n’hésitant pas à se vanner et à multiplier les sourires en coin et les clins d’œil (or Orton ne sourit que quand il se brûle et HHH est redevenu l’armoire à glace colérique qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être). La vanne de la soirée, quoique passablement éculée, est revenue à Cena: se tenant face à Edge, qui était venu entouré de Vickie et du Big Show, il a sorti « T’as débarqué ici accompagné d’un monstre dégoûtant de 200 kilos… ah oui, et t’as amené le Big Show aussi. » Il n’empêche que la feud ne se contente pas d’être comique: Cena a en travers de la gorge sa perte de la ceinture et possède une clause de rematch (la forme la plus institutionnalisée de la vengeance). Ici aussi, certaines zones d’ombre subsistent. Qu’est-ce que le Big Show a à gagner dans cette histoire? Depuis quand il joue les bodyguards d’Edge ou de Vickie? Pour quelle obscure raison Vickie a-t-elle forcé Cena à affronter son neveu Chavo? La seule explication possible fait froid aux oreilles: et si Biggie était l’amant de Vickie? Peut-être prépare-t-elle un sale coup à son Edge d’amour… Mais le bon peuple voulant voir Edge à Wrestlemania bien plus que le Big Show, il est probable que le retournement, si retournement il y a, interviendra directement le 5 avril… Et il y aura encore de la vengeance dans l’air.

Le seul, finalement, qui semble totalement se désintéresser de toute histoire de vengeance, c’est cette bonne poire de Kofi Kingston: alors qu’à No Way Out, Edge l’a défoncé à coups de chaise pour prendre sa place dans l’Elimination Chamber de Raw, lui volant donc la première chance de sa vie de gagner le titre de champion, Kofi a probablement trouvé du réconfort dans un gros tarpé et n’est même pas apparu à l’écran depuis, alors que tout autre à sa place aurait éructé de rage et exigé au moins un match contre le nouveau champion. Une vraie leçon de sagesse jah rastafarai.

[Voix de Pierre Arditi]: Le mâle dominant déploie sa crinière et pousse un rugissement pour éloigner tous ceux qui essaieraient de lui subtiliser sa femelle.

L’histoire Michaels-JBL s’est terminée en eau de boudin, et c’est bien dommage. Après une construction de plusieurs semaines, les storywriters ont donc brusquement bâclé la fin en inventant une issue absurde: le combat « all or nothing » à No Way Out, dont il était absolument évident que Shawn sortirait vainqueur. Désormais, ce dernier aurait donc pour but d’avoir un match de prestige à Wrestlemania contre le Taker. Soit, admettons que c’est une motivation suffisante — et comme les deux hommes luttent dans des divisions différentes et sont tous deux des faces, il était compliqué de sortir soudain une raison valable pour un combat autre que le prestige. N’empêche que refaire HBK / JBL ce lundi avec pour enjeu d’affronter le Taker était un peu étrange. Depuis quand les catcheurs décident eux-mêmes de l’enjeu de leur combat? Surtout, si on comprend à la rigueur les motivations de Michaels, qu’est-ce que JBL en a à battre, de l’Undertaker? Sans doute encore une histoire de vengeance, le milliardaire souhaitant avant tout s’opposer aux plans de son ex-esclave émancipé. Quoi qu’il en soit, Michaels a gagné comme prévu dans un match qui était la copie conforme de leur combat très moyen de No Way Out; et comme il l’avait annoncé vendredi à Smackdown, Kozlov est arrivé à la fin pour porter sa prise de finition sur un Michaels un peu crevé. Le Russe devrait lui aussi être présenté comme mu par la vengeance, puisque l’Undertaker lui a infligé à l’Elimination Chamber de Smackdown lors du dernier No Way Out son premier pinfall. Mais bizarrement, la WWE a décidé de ne pas insister sur cet épisode, sans doute pour ne pas discréditer Kozlov, toujours présenté comme « undefeated » (sauf que maintenant on ajoute rapidement « in singles competition », comme pour s’excuser). Toute cette storyline est assez confuse: Kozlov doit affronter l’Undertaker ce vendredi à Smackdown pour, en cas de victoire… avoir le droit d’affronter à nouveau le Deadman à Wrestlemania. Mais le lundi suivant, il doit revenir à Raw pour combattre Michaels avec pour enjeu… le droit d’affronter l’Undertaker à Mania. Tout ça donne mal à la tête, même si on comprend bien qu’il s’agit seulement pour la WWE d’offrir quelque grain à moudre à Shawn d’ici le 5 avril…

Shawn a eu beau supplier, JBL a toujours refusé de lui offrir le collier de cuir de ses rêves.

Deux autres moments notables dans ce Raw globalement de très bonne tenue: Jericho, indiscutablement le meilleur orateur de la WWE, a encore clashé un vieux, cette fois Ricky « the Dragon » Steamboat, lequel s’est très bien défendu micro en main. L’histoire fonctionne, d’autant qu’elle s’appuie en permanence sur des faits réels (Jericho a rappelé toute la carrière de Steamboat, et l’autre en a fait de même). Maintenant qu’il a perdu aux Oscars, Mickey Rourke va-t-il revenir dans le tableau? La semaine a été terrible pour The Wrtestler, qui a non seulement perdu la course à la statuette dorée mais aussi… son chihuahua préféré. De là à l’imaginer péter un câble à nouveau et se mettre en tête de devenir le champion de la WWE, il n’y a qu’un pas… Il faut de toute façon un gros combat pour achever en beauté cette histoire: si ce n’est Rourke, ce sera Flair ou Austin. Les plus irréalistes rêvent de voir un retour pour un match de The Rock, et ceux qui ont en plus un goût pourri fantasment sur une réapparition de Hulk Hogan. Nous, à vrai dire, on s’intéresse moins au match (on voit absolument pas Jericho subir autre chose qu’une grosse punition sur le thème du respect dû aux anciens) qu’aux clashs de Jericho, véritables morceaux d’anthologie, tout en précision et en mépris. Cela dit, on pourrait éviter les bastons d’après-clash, ça n’apporte pas grand-chose. Quoi qu’il en soit, là encore, on nage en plein dans la dialectique de l’affront et de la vengeance

— Le catch, c’est comme le rock. Les seules vraies légendes, c’est les types qui sont morts jeunes.

Enfin, CM Punk s’est qualifié pour le toujours très spectaculaire Money in the Bank dans un match à trois l’opposant à Miz et Morrison, qui se sont cognés entre eux pour l’occasion. Espoir secret: que ça débouche sur la séparation de leur duo (même s’il est assez réjouissant) et sur un gros push individuel pour Morrison, tandis que le revanchard Miz lui livrera une feud sans merci pour assouvir sa propre vengeance, bien sûr.

— C’est tout pour ce soir. Lâchez vos comms!!!


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