WWE, La Sainte Famille et la création du monde

« Dieu dit: que la lumière soit. Et la lumière fut. » Gn.1-3.

Hagiographie de la WWE

Parler de la WWE sans parler de sa figure tutélaire, c’est comme parler de l’Eglise catholique sans dire un mot de Jésus Christ. Et Jésus Christ, dans ce business, c’est sans aucun doute celui par lequel la bonne parole arrive, celui qui a souffert pour nous, celui qui trône au firmament des étoiles, Vince McMahon.

Mais Jésus, vous le savez, est avant tout le fils de son père.

Cette bonne gueule de Républicain filou appartient à Vince Mc Mahon Sr (1914-1982), fondateur dans les années 1950 (et en sept jours) de la World Wide Wrestling Federation, qui domina le catch professionnel aux States dans les années 1950 et 1960. Malgré un nom pour le moins ambitieux, la WWWF était surtout active dans les Etats du Nord-Est, où ses salles enfumées s’emplissaient de marlous, maquereaux et autres boxeurs amateurs en quête de sensations fortes tandis que, au dehors, l’Amérique McCarthyste puis Kennedyenne s’enivrait de matériel électroménager et de voitures de dix mètres de long.

Comme dans le Nouveau Testament, le Fils allait prolonger et globaliser l’oeuvre du Père, dont l’admiration était initialement réservée à quelques happy few (même si on aurait du mal à considérer l’assemblée de pochtronnards édentés qui hurlaient « Kill him! » dans quelque gymnase du Connecticut en 1959 comme le peuple élu). Avec l’arrivée de Vince Jr, la Fédération allait devenir réellement mondiale, se débarrassant au passage de l’un de ses nombreux W pour devenir la World Wrestling Federation.

Je vous passe les relations difficiles entre le Fils et le Père (le premier ne faisant la connaissance du second qu’à l’âge de 12 ans, ce qui est toujours mieux que le Christ qui, lui, dut attendre d’en avoir 33), mais je vous prie cependant de garder en mémoire ce mot de Vince Jr (né en 1945) à propos de l’homme avec lequel sa mère vécut pendant qu’il était enfant, un certain Leo Lupton, un alcoolique violent qui battait aussi bien la mère de Vince que Vince lui-même: « Dommage qu’il soit mort avant que j’aie pu le tuer de mes propres mains. » Ce qui en dit long sur ses méthodes christiques: « Je ne suis pas venu vous apporter la paix, mais le glaive », annonce-t-il en substance.

A douze ans, Vince fait donc la connaissance de papa, qui le prend sous sa coupe. Junior est doué, et après un diplôme d’école de commerce, intègre en 1971 la WWWF. Il devient annonceur sur le ring (« Ladies and gentemen, this contest blablabla »), puis commentateur télé, tout en gravissant toutes les marches de la boîte à vitesse grand V, si bien qu’il prend le contrôle total de la Fédé en 1982, à 37 ans, deux ans avant la mort de son daron. Entretemps, il aura compris l’importance de faire du catch non plus un passe-temps confidentiel et artisanal mais un vrai divertissement ultra-pro destiné aux masses. Dès 1976, il organise ainsi un combat entre l’un de ses catcheurs et… Mohamed Ali! C’est sans doute là la vraie raison de la déchéance ultérieure du King Bee…

« Un jour, mec, on parlera de nous sur les Cahiers du Catch!!! »

Les années 1980, glam et clinquantes, correspondent pleinement aux projets globaux de Vince. Il agit d’abord comme un véritable wargamer, rachetant toutes les fédérations existantes (qui se partageaient des zones des USA) pour imposer sa WWF comme l’unique fédération à portée nationale. Ses catcheurs vont devenir des stars, et la première d’entre elles est le charismatique Hulk Hogan, au personnage si bigger than life qu’il aura même un rôle dans Rocky III.

Vince impose sa touche: alors que jusqu’ici les storylines étaient inexistantes, les catcheurs se distinguant les uns des autres uniquement par leur accoutrement et leur comportement basique (gentils / méchants), il va introduire de plus en plus d’histoires « backstage », afin d’offrir au public, qui regarde tout ça à la télé de la même façon que Dallas ou Dynastie, un vrai feuilleton à suivre de semaine en semaine! Et pour attirer un public toujours plus large, il convoque des stars du moment. Ainsi, son premier show gigantesque, Wrestlemania I, tenu au Madison Square Garden à New York, est renforcé par des concerts d’Alice Lauper et Cindy Cooper (ou l’inverse) et voit monter sur le ring un autre personnage Rockyien: Mr T.

Vince a investi tout son fric pour monter ça, et ce quitte ou double est un succès énorme. Les grandes chaînes de télé y consacrent des tas de reportages, la presse relaye le triomphe et la mayonnaise prend dans tout le pays, et bientôt au-delà.

La WWF multiplie les shows, les superstars sont de plus en plus nombreuses (Macho Man, Mr Perfect, Jake « The Snake » Roberts, etc.) et on vient aux shows en famille, et on achète des produits dérivés, et on casque pour voir les pay-per-view, et on en parle au bureau. C’est l’Âge d’Or. Vince est célébré comme un roi du marketing (le parallèle avec Jésus, son dépoussiérage en force des rites judaïques, sa starification et ses main events est là encore évident!). Il est millionnaire, ses jolis gamins grandissent, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Les taux d’audience sont au plus haut et Wrestlemania III, qui voit Hogan affronter André le Géant, draine plus de 90 000 spectateurs au Pontiac Silverdome!

Mais le succès de la WWF donne des idées aux requins du business ricain. En 1988, l’infâme magnat Ted Turner crée une fédé concurrente, la WCW. Celle-ci, aux ressources gigantesques, débauchera plusieurs stars de la WWF, dont Hogan himself. Pendant de longues années, les deux fédés se livrent une guerre acharnée où tous les coups sont permis, y compris, ô sacrilège, de divulguer au public les développements à venir des storylines en cours dans la Fédé adverse!

En difficulté un moment, malgré l’émergence à la fin des années 1980 – début des années 1990 d’une nouvelle génération de catcheurs (Shawn Michaels, Lex Luger, Bret Hart, Razor Ramon, Diesel, Yokozuna, The Undertaker, The Rock, Steve Austin, etc), McMahon traverse le désert en courant et trouve une nouvelle fois la parade.

Le catch était une attraction familiale, peuplée de personnages délibérément ridicules, globalement gentillette et aux valeurs positives? Eh bien, la WWF allait évoluer vers une mouture plus sombre, plus glauque, plus réaliste, plus violente, et aspirer la totalité du public ricain, lassé des pitreries de Hogan et de ses comparses à la WCW.

L’événement fondateur de ce tournant, qui allait voir les storylines devenir plus complexes qu’un simple « tu veux le titre / je veux le titre / battons-nous », ce fut en 1997 le sensationnel Montreal Screwjob, qui fait encore jaser 12 ans plus tard.

En deux mots, lors d’une réunion tenue à Montréal, sur les terres du Canadien Bret Hart, ce dernier devait gagner contre Michaels. Ce que Hart ne savait pas, c’est que Vince allait profiter de ce jour pour passer à la vitesse supérieure. Lors d’une prise de soumission tentée par Michaels, et alors que Hart faisait mine de se débattre (il était censé rompre la prise et finir par gagner le combat), l’arbitre, sur instruction de McMahon, déclara que Hart avait fait signe d’abandonner. Gong, fin du combat, victoire de Michaels sous les yeux d’une foule stupéfaite.

L’instant fatidique où l’arbitre fait signe d’arrêter le combat.

McMahon, qui jusque-là n’apparaissait à la WWF qu’en tant qu’annonceur, si bien que son statut de grand patron était complètement mis de côté, fut alors mis en lumière comme le grand responsable du complot. Hart, dépité, partit à la WCW, mais cette perte valait le coup. Le départ de Hart était compensé par la montée en puissance de Stone Cold Steve Austin et le début de la « Attitude Era », qui vit les catcheurs se catstagner partout dans les salles, voire en dehors, qui vit le sang couler abondamment, qui vit des cascades de plus en plus impressionnantes, qui vit des scènes de plus en plus ouvertement sexuelles montrées au public, etc.

Le public, hypnotisé, suivit. D’autant que, pour mettre la touche finale à ce tableau, Vince, à plus de 50 piges… descendit lui-même dans l’arène!

Se faisant désormais appeler « Mister Mc Mahon » et pas autrement, il devint l’un des heels les plus terribles de l’histoire. Avec un vice jamais vu auparavant, abusant de son pouvoir, secondé par son fiston Shane, devenu un catcheur-voltigeur de fort belle facture, il allait même gagner le Royal Rumble 1999. Car malgré son âge, ce gros costaud de Vince (1m88, 112 kilos) pouvait encore balancer des mecs qui pourraient être son fils (et qui parfois l’étaient puisqu’il n’hésita pas à taper Shane à plusieurs reprises) par-dessus la troisième corde.

« C’est qui l’patron ? »

Je ne sais pas si vous vous rendez compte des cojones qu’il faut avoir, à plus de 50 piges, alors qu’on est multimillionnaire, d’aller se battre avec des golgoths de 30 ans, uniquement pour alimenter des storylines! D’autant que Vince payait de sa personne, et finissait souvent en sang, éclaté à coups de latte par ses propres employés! C’est comme si Don King allait se cogner Tyson, quoi. Ou comme si le Christ se laissait arrêter pour subir le martyre afin de montrer aux hommes de quel bois il se chauffe.

Et nous insistons sur le dévouement de toute la famille à la cause. On vous parlera plus loin de la plantureuse Stephanie, mais voici la fin du combat opposant Shane McMahon au monstrueux Big Show, couronnée par le saut le plus dingue de l’histoire du sport (c’est huit minutes mais franchement ça vaut le coup), qui montre que quand il s’agit d’assurer le spectacle, la famille McMahon est prête à absolument tout.

C’en est trop pour la WCW — qui plus est apparemment gérée n’importe comment — que Vince rachète triomphalement en 2001.

L’Attitude Era n’est pas terminée, et Vince n’abandonne pas son personnage de patron tyrannique, multipliant les licenciements spectaculaires sur le ring, comme on peut l’admirer ici. Il ressemble à votre boss les gars hein?

Et comme si ça ne suffisait pas, Vince allait inventer l’humiliation suprême, le bien nommé…

Kiss My Ass Club!

Les catcheurs étant forcés un par un à lui baiser le cul! Une sorte de baptême pour ses fidèles, en fait (par décence, nous ne parlerons pas de son droit de cuissage sur les Divas… en fait si, nous en parlerons, dans l’article consacré à Trish, ne le ratez pas!)

Comme le Christ, McMahon voulait partir sur une mort expiatoire: en juin 2007, une vidéo le montra quittant le gymnase, montant dans sa limousine et…

BLAM!

La storyline de sa mort était prête, la fédé s’apprêtait à lui rendre un vibrant hommage, quand ce connard de Chris Benoit (l’un des meilleurs catcheurs du moment) gâcha tout en faisant montre d’un sens du timing déplorable: quelques jours après l’explosion de la limousine de Vince, Benoit, pris de folie, buta sa femme et son gosse (en lui appliquant sa prise de soumission favorite, le Crippler Crossface) et se suicida dans la foulée. Quand la WWE eut vent de la nouvelle, l’hommage à McMahon fut immédiatement transformé en hommage à Benoit (on ignorait alors ce qui s’était exactement passé, et Vince lui-même, sobre et visiblement peiné, apparut pour distinguer la fiction de la réalité), mais on apprit à ce moment-là les vraies circonstances du drame et le tout fut annulé en catastrophe.

Depuis, Mc Mahon a encore fait les frais d’une storyline douteuse, où il fut présenté comme le père illégitime de l’un de ses catcheurs, lequel se révéla être le nain Hornswoggle. Histoire pourrie qu’on oublia très vite (Hornswoggle est désormais censé être le fils de l’Irlandais bagarreur Finlay). Le sperme sacré ne saurait produire autre chose que de la perfection telle que Shane et surtout Steph, à laquelle nous consacrons dans cette même rubrique un article séparé. Le fait qu’il ait tout de même donné son accord à cette storyline vaseuse, tout comme à bon nombre d’autres du même acabit, voire bien pires, apporte la preuve que tout Dieu qu’il soit, Vince est également Homme, donc faillible. Agé aujourd’hui de 63 ans, il continue cependant, et c’est bien l’essentiel, de se dépenser pour la compagnie. Récemment encore, après une longue période d’absence, il fut renvoyé dans ses foyers d’un magistral coup de pied dans le crâne asséné par Randy Orton. Jusqu’à son dernier souffle, Vince continuera de servir sa secte. Et nul doute que son enseignement lui survivra.


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